Pendant les premières années, la plupart des créateurs en solo ou en couple passent par une phase éprouvante, nerveusement et physiquement. Les vies personnelles et professionnelles sont en effet complètement fusionnées et concentrées autour de la réussite de l'entreprise. Déracinement familial, manque de relations amicales et sociales, surcharge de travail, accumulation de soucis, incompréhension de la clientèle, problèmes financiers… les situations de crise peuvent vite émerger. L'entente dans le couple peut en prendre un coup. Il faut en être conscient pour mieux s'y préparer.
Burn-out ? Un mélange d'assurance, d'optimisme et un brin d'inconscience : voilà peut-être le grain de folie qui permet de se jeter à l'eau et d'avancer. Guillaume et Florence Fache ont ouvert en janvier leur première boulangerie- pâtisserie à Rouvignies (59). Une création financée par la mairie, avec à leur charge un investissement matériel de 160 000 euros. Signe particulier : à 23 ans, Guillaume vient de passer directement de la case « apprenti » à celle de « patron » (avec 2 vendeuses et 2 apprentis), sans avoir été salarié. « Ma force, c'est d'avoir beaucoup d'aplomb. Montrer où l'on va et comment on y va, ça aide à convaincre. En fait, je ne savais pas vraiment ce qui m'attendait. Je voyais les choses avec insouciance. Si j'avais su, je m'y serais pris autrement… Mais bon, aujourd'hui ça fait des bons souvenirs ! Le plus difficile, c'est de supporter la charge de travail à la production. On n'est parfois pas très loin du 20 heures par jour, 7 jours sur 7 ! Quand, en plus d'avoir la tête dans le guidon, on doit assurer les salaires, les charges et les remboursements, sans savoir comment suivra la clientèle, la pression est énorme. Heureusement, notre couple est solide. Notre famille nous a aussi beaucoup soutenus et encouragés. J'ai eu aussi la chance de tomber sur des partenaires qui ont été très à l'écoute. Chambre de Métiers, banquier, maire, comptable, meunier et fournisseur de matériel, chacun a été arrangeant financièrement et force de conseil », convient-t-il. À l'approche de la fin d'année, les voilà rassurés : ils vont doubler le chiffre du prévisionnel. Guillaume et Florence ne sont donc pas prêts de relâcher leurs efforts… même si le plus gros est fait !
Vies en équilibre Gérard Bodénès, négociateur et cogérant chez Via Transactions, agence spécialisée dans la vente de boulangeries-pâtisseries, estime que la réussite de l'entreprise tient à la solidité du projet de vie. « Le changement de vie est tellement radical, explique-t-il, qu'il est nécessaire d'avoir bien pensé aux aspects personnels et à l'organisation du quotidien. Supportera-t-on de travailler beaucoup pour gagner peu ? De sacrifier ses week-ends et sa vie sociale pour quelques années ? Est-on suffisamment solide en couple pour affronter la charge de l'affaire en plus de celle de la famille ? Les affaires qui échouent sont souvent liées au fait que l'épouse craque pour avoir été écartelée entre les enfants et le travail. Aussi doit-elle adhérer totalement au projet de son mari et, lui, prendre davantage part aux tâches familiales. Les domaines réservés et les fonctions de chacun doivent être clairement défi nis, aussi bien à la maison qu'au travail. Ils devront aussi savoir créer des occasions pour souffler. Dans certains cas, la reprise du fonds se fait avec le personnel. Se sent-on capable de commander, de poser des barrières et de trouver une autorité saine ? Pour tenir face aux difficultés, les jeunes créateurs doivent bien garder en tête que la réussite est devant eux, et se matérialisera au moment où ils revendront le fonds. Il n'est pas rare que certains multiplient par dix le capital engagé initialement. Aussi je conseille de tenir le cap pendant 5 ou 7 ans. La seconde affaire sera plus rentable et donc plus facile à vivre. »
par Armand Tandeau (publié le 7 novembre 2011)