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Tendance Vers la traçabilité ultime

Avec l'arrivée très remarquée des plantations ou des grands crus, la traçabilité s'invite dans la filière cacao. Entre plaisir des sens et recherche de sens, décryptage d'une tendance qui bouscule la planète chocolat.

Dans la création pâtissière artisanale, le goût reste le principal moteur de créativité. Et le chocolat, par sa très grande diversité aromatique et le plaisir universel qu'il procure, règne en maître dans les laboratoires. Mais le plaisir ne peut être réduit à une simple stimulation des sens gustatif et olfactif. Sa richesse se trouve aussi et surtout dans « l'histoire » que raconte le produit.

Rétablir un lien entre producteuret consommateur : un phénomène qui concerne désormais la filière cacao.

Du champ à l'assiette C'est ce que revendique Jacques Puisais, vice-président de l'Institut Français du Goût et président du festival international « Sens et Chocolat » (qui s'est tenu dernièrement sur le salon Europain et qui a mis Madagascar à l'honneur cette année). « Le goût ou le plaisir sont le résultat d'une activité cérébrale qui sollicite notre sensibilité et notre mémoire sensorielle. Cette représentation émotionnelle prend toute sa dimension lorsque la vie olfactive est riche et diversifiée et lorsqu'un contact avec le produit a été établi dans l'assiette pendant l'enfance, et mieux encore, lorsqu'un lien avec la production a pu se faire. L'appauvrissement de la diversité alimentaire par la standardisation industrielle et l'éloignement des consommateurs avec les terroirs et les producteurs font que ce potentiel émotionnel est en perdition. Et derrière, c'est toute une culture humaine qui est mise en péril : variétés ancestrales, patrimoines culinaires, savoir-faire techniques, etc., sans compter l'impact sur les populations qui vivent de la terre. Puisque l'industriel tend à uniformiser l'alimentation, à l'artisan de relever le défi du circuit direct et des ingrédients de signature pour devenir un véritable acteur et créateur », insiste le docteur en chimie, ardent défenseur du goût en milieu scolaire depuis de nombreuses années.

Le phénomène« Grands Crus »

« Fine sourcing »Pour Nico Regout, fondatrice du « Cercle du Cacao » qui conseille les couverturiers et les grands chocolatiers, cela ne fait aucun doute : le retour du cacao grand cru de propriété (ou de plantation) doit être encouragé. « La grande industrie du chocolat, qui achète au prix du cours de la bourse auprès des grandes coopératives, favorise la monoculture d'hybrides hyper productifs et tout ce qui s'ensuit : déforestation, épuisement du sol, propagation des maladies, mélanges incontrôlés, etc. L'artisan peut soutenir une filière plus responsable en se fournissant auprès des fabricants de couvertures qui achètent en direct du producteur (Valrhona, Opéra…) et en exigeant une traçabilité totale dans le cacao, aussi bien sur la variété cultivée que sur le terroir. L'industrie et les traders brandissent le problème de la pénurie pour justifier leur prix. Moi, personnellement, je n'y crois pas : le prix juste est celui qui permet aux producteurs de vivre décemment de leur travail et de pérenniser leur production. Le négoce en direct n'est pas soumis à la contrainte des marchés. En termes de création ou de marketing, l'artisan a tout à y gagner car il se situe là au coeur des tendances de consommation », explique cette négociante en cacaos fins.

Le chocolat blond Dulcey répond à la tendance « régressive » : ses notes gourmandes de caramel évoquent les doux souvenirs de notre enfance(Photo : Frédéric Bau).

De la manufacture au design Ces experts plaident pour que les grands artisans chocolatiers réapprennent à faire leur propre couverture à partir de fèves achetées auprès de planteurs sélectionnés. Le mouvement dit du « bean-to-bar » (de la fève à la tablette) est très actuel mais encore très minoritaire. Il est porté notamment par Alain Ducasse et Nicolas Berger à Paris et Pierre Marcolini à Bruxelles (maison fondée avec Nico Regout). En attendant le retour incertain des « manufactures » de chocolat, les artisans pâtissiers-chocolatiers peuvent exprimer leur art avec les couvertures du marché qui sont d'une grande qualité et d'une grande diversité. Pour mettre en avant l'arôme des chocolats rares et tenir un prix acceptable, rien de tel que les mini-formats qui sont une autre tendance forte du secteur (voir ci-dessous). Le design culinaire et le food pairing (association d'arômes) ne sont-ils pas non plus un autre moyen d'éveiller nos sens et jouer différemment la carte de l'innovation ?

Tendances chocolatées
Quelques tendances de fond dans lesquelles le chocolat a toute sa place : • Pâtisserie fine (association de textures et de parfums); • Pâtisserie régressive (marques de confiseries « mythiques », arômes anciens, gâteaux « de nos grands-mères »…); • Pâtisserie américaine (cookies, muffins, cheese-cakes…) ; • Texture aérienne : légère (mousse, écume) et allégée (moins sucrée, moins grasse) ; • Mini-format: type nomade ou café gourmand (verrines, bouchées, miniatures…); • Ingrédients nobles d'appellation d'origine (terroirs) ; • Bien-être et nutrition (micronutriments, agriculture biologique, hypoallergénique…).

par Armand Tandeau (publié le 6 juin 2014).

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