Le régime sans gluten monte actuellement en puissance. Le décryptage de Valérie Mousquès-Cami, secrétaire générale du Centre d'Information des Farines et du Pain (Cifap - Observatoire du Pain).
La Toque Magazine (L.T.M.) : Comment expliquez-vous l'emballement pour le régime sans gluten ?Valérie Mousquès-Cami (V.M.C.) : « L'offre en produits diététiques sans gluten explose effectivement alors que les personnes diagnostiquées intolérantes, allergiques ou hypersensibles ne concernent qu'à peine 5% de la population française. La cause de cet engouement pour ces produits de régime est complexe et s'enracine dans une sensibilité collective sur tous les sujets liés à l'alimentation. Le gluten fait peur, à tort, alors qu'il a toujours fait partie de notre alimentation et, ce, depuis le néolithique. Pains, pâtisseries, pâtes, pizzas, biscuits, sauces... le blé est très présent dans notre culture alimentaire et se retrouve partout. S'engager sur un régime sans gluten constitue un véritable parcours du combattant ! En prenant connaissance de certains témoignages (sur Internet notamment : tapez « gluten » sur Youtube.fr pour vous en convaincre - NDLR), nombre d'individus vont essayer un régime sans gluten pour tenter de trouver une solution à un mal être d'origine inconnue ou par simple prévention. Ce mode alimentaire jouit aussi d'une bonne image, véhiculée par de nombreuses stars. L'effet d'entraînement est puissant et finit par gagner des personnes qui n'ont aucune raison de santé valable de s'imposer de telles pratiques. Les industriels n'ont pas tardé à se positionner (la grande distribution propose aujourd'hui de nombreux produits sans gluten - NDLR) et un véritable marché commence à émerger. Finalement, plus on en parle, plus la bulle grossit selon le principe du « buzz ». La demande pour ces produits dépasse bien la réalité médicale. »
LTM : Comment l'artisan doit-il réagir face à cette demande ? VMC : « Face à un client qui l'interpelle sur le sujet, le boulanger doit d'abord se montrer rassurant. Il ne doit jamais perdre de vue que 95% des personnes digèrent très bien le gluten sans développer le moindre trouble et que le régime sans gluten n'est bénéfique que pour les personnes souffrant d'une intolérance ou d'une allergie diagnostiquée. Le boulanger aura peut-être du mal à être entendu, car il est juge et partie dans cette affaire. Mais il peut inviter le client à s'interroger sur le bien-fondé de cette tendance, en soulignant par exemple l'effet de mode. Par contre, certains discours voudraient faire croire que les blés modernes ont un gluten modifié à l'origine de tous les maux, ce qui est infondé. Le gluten a très peu évolué en quantité et en qualité ces vingt dernières années. Pourtant, l'intérêt du grand public pour le sujet a explosé. Ce qui a surtout changé, ce sont les progrès du diagnostic. L'hypersensibilité (non coeliaque) est une réalité médicale récente, encore mal connue. Elle fait aujourd'hui l'objet de nombreuses recherches. La profession meunière et boulangère suit de près l'évolution des travaux. À chaque artisan de voir s'il est opportun pour lui de répondre à cette demande, qui reste globalement très minoritaire, mais qui peut, dans certaines situations, correspondre à une demande réelle. »
propos recueillis par Armand Tandeau (publié le 2 mars 2015)