Le chocolat est aujourd'hui un peu entre deux chaises : il est à la fois un ingrédient de base et un produit de luxe. Entre 3 € et 15 € le kilo, le prix est évocateur… Du coup, il n'est pas forcément déplacé de vouloir consommer un bon chocolat comme on boit un bon vin. Mais le haut de gamme a-t-il seulement les capacités requises ?
Au bonheur des sens Florence Moulin, directrice marketing chez Weiss, sait combien l'analogie avec le vin est évidente. Elle explique notamment que « les notions de terroir, de cépage ou de millésime recouvrent des réalités agronomiques comparables. L'assemblage est un domaine d'expertise que seuls quelques rares « nez » parviennent à en faire un art. Aussi la sensorialité, et même la sensualité, sont-elles tout à fait pertinentes dans le chocolat. L'art de la dégustation exploite les cinq sens. L'ouïe ou l'odorat restent assez limités, mais la vision, le toucher et le goût sont largement sollicités. Les rituels du service ont de ce fait leur importance pour éveiller le désir. L'aspect visuel renseigne sur l'origine, la fraîcheur et la qualité. En bouche, on va pouvoir évoquer de multiples sensations tactiles ou gustatives - charpente, rondeur, gras, soyeux, finesse, astringence, amertume, sucrosité, acidité - et de nombreuses perceptions aromatiques comme le fruité, l'épicé, le floral, le végétal, l'animal, le feu… La longueur est largement perceptible. La minéralité n'est par contre pas présente. Au delà des aspects techniques, le chocolat parle aussi à l'imaginaire et à l'histoire olfactive de chacun. L'émotion est peut-être la plus importante des finalités ! »
Bien communiquer Dans ce contexte, le couverturier belge Belcolade (groupe Puratos) a mis les moyens pour guider leurs clients dans cet univers. « La palette aromatique n'est pas encore exploitée à sa juste valeur par l'artisanat, mais on y vient… car il y a derrière un véritable potentiel créatif. Aussi, il est de notre responsabilité de faire de la pédagogie. Avec notre concept Cyrano, nous sommes allés très loin dans la démarche par une analyse à la fois scientifique et sensorielle. Un fois le profil de nos chocolats identifi é, nous les classons dans une famille aromatique (herbes, terre/bois, fruits, épices…), ce qui permet d'orienter plus facilement nos clients et de leur donner des clefs pour communiquer. De plus, pour chaque produit, nous avons créé des arbres de « foodpairing » par la même approche¹. En un coup d'oeil, on peut voir les associations de parfums qui peuvent fonctionner avec tel ou tel chocolat. L'outil garantit une certaine universalité, mais le résultat doit être validé par l'intéressé car le goût est aussi une affaire personnelle », explique Pauline Deswarte, chef de groupe pâtisserie-chocolat chez Belcolade. Cas pratiques : menthe/Ouganda noir 80 %, fraise/Venezuela lait 43 % ou encore coco/Costa-Rica lait 38 % sont quelques exemples de combinaisons réussies.
Sortir des a priori Dans cet art du goût, Pascal Caffet à Troyes (10) est un orfèvre. Lui aussi recommande aux artisans de se mobiliser sur les origines ou les plantations. Pour l'enrobage de bonbons par exemple, contrairement à ce que beaucoup pensent, il préconise une origine : la Venezuela 70 % en l'occurrence (Chocolaterie de l'Opéra). « Quand on déguste une ganache, on débute sur les notes chocolatées de l'enrobage, puis arrivent une succession de sensations liées au fourrage. Lorsque le chocolat a une belle longueur en bouche, il va revenir en force sur la finale. Le lien est donc fait pour passer en douceur sur le deuxième bonbon. Et ainsi de suite… la dégustation coule toute seule, sans risque que deux intérieurs incompatibles se superposent. Dans une pâtisserie, l'enjeu n'est pas le même puisque, là, les bouchées se ressemblent » avance-t-il. Sur des entremets ou des mousses tout chocolat, il est bienvenu de mettre en valeur la typicité des origines et/ou la puissance d'un cacao (pour gagner en force, il est possible d'ajouter de la pâte de cacao 100 %). Sur des pâtisseries qui associent du chocolat à un fruit, il est intéressant d'aller vers des couvertures plus fruitées. « La Papouasie Nouvelle-Guinée est magnifi que sur un fruit acidulé. On est là dans le ton sur ton. Mais il y a des associations insoupçonnables qui donnent de très bons résultats. Le mieux est de tester nos intuitions, en goûtant un échantillon de couverture avec l'ingrédient qu'on souhaite marier (épice, fruit frais/cuit, fruit sec…) » recommande Pascal Caffet.
¹ Technique culinaire qui consiste à associer deux aliments en fonction de leur profil aromatique analysé. L'outil est disponible en ligne : http://www.chocolatefoodpairing.com/tool.php?lang=fr
par Armand Tandeau (publié le 17 octobre 2011)