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© B. Guicheteau
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Dossier Index glycémique, la face cachée des sucres

Augmentation des allergies, du diabète, du surpoids… Si l’alimentation n’est pas la seule responsable de ces pathologies, elle participe à l’équilibre nutritionnel et à la santé. La boulangerie-pâtisserie artisanale a un rôle à jouer, en produisant des produits sains et savoureux. Ce qui pose la question de leur index glycémique, au-delà de la problématique du gluten. Le but n’est pas de diaboliser le ou les sucres, mais de réfléchir à leur fonction et à leurs usages dans une quête de bien-manger.

Mieux le comprendre

L’index glycémique (IG) mesure la capacité de libération du sucre dans l’organisme pour un aliment donné. Plus il est élevé, plus l’ingestion de cet aliment génère des pics de glycémie (taux de glucose dans le sang), entraînant des pics d’insuline (une hormone générée par le pancréas pour réguler le sucre et le convertir en énergie), néfastes pour l’organisme à force d’excès, en particulier pour les personnes (pré)diabétiques. Depuis les années 1980, leur nombre a quadruplé selon l’Organisation mondiale de la santé, qui fait état d’une « épidémie de diabètes ». La France n’a pas échappé au phénomène avec plus de 4,5 millions de diabétiques (chiffre CEED), dont 92 % de type 2. Parmi les causes pointées du doigt : un mauvais équilibre alimentaire, trop riche en sucres, dits « rapides » notamment. Car tous les sucres ne se valent pas sur le plan nutritionnel (lire notre dossier sur les sucres non-raffinés LT n°329). Pour faire baisser l’IG de ses desserts, la pâtisserie Oh oui ! a délaissé « le sucre blanc raffiné au profit de sucres naturels de fleur de coco ou de raisin et de sirop d’agave, au pouvoir plus sucrant pour un IG moins élevé », explique Fanny Barbe (voir encadré). À la clé : « Des entremets, tartes, éclairs, avec jusqu’à 65 % de sucre en moins, affichant un index glycémique inférieur à 25 contre 50 à 70 pour des pâtisseries classiques ». À noter qu’un IG faible est inférieur à 50-55, un IG supérieur à 70 étant considéré comme élevé.

Les fruits rouges comme la framboise, présentent un index glycémique plus bas que la banane, a fortiori trop mûre. © B. Guicheteau

Farines complètes

Les sucres de canne et de betterave (saccharose) sont loin d’être les seuls à avoir un impact sur la glycémie. Ils appartiennent à la grande famille des glucides, intégrant les lactoses (produits laitiers) ou les fructoses (fruits, miel) et tous les glucides dits complexes que l’on retrouve dans les féculents, légumineuses, céréales, et donc dans la farine, essentiellement sous forme d’amidon. Plus une farine est raffinée ou « blanche » (T65 et moins), plus son IG est élevé. Car l’élimination des enveloppes (sons) et du germe du grain réduit sa teneur en micronutriments, minéraux et fibres, participant à la régulation de la glycémie. Ancien directeur de recherche à l’Inrae, le nutritionniste Christian Rémésy a longtemps plaidé pour « la généralisation de la farine bise T80 », la farine complète (T150) étant la plus riche en minéraux. Pour le boulanger Adriano Farano, fondateur de Pane Vivo, les variétés de blés et les modes de mouture (ce dernier point faisant débat chez les artisans) entrent aussi en ligne de compte, son pain au blé dur ancien, écrasé sur meule de pierre, contenant « cinq fois plus d’amidons résistants qu’un pain blanc classique consommé couramment en France », avec un bénéfice sur l’IG et le microbiote intestinal.

En assemblage, l’usage de farines à IG bas (comme celle de lupin ou de pois chiche) contribue à réduire la note globale. © B. Guicheteau

Une alternative préconisée par Christian Rémésy : « ajouter 5 % de farine de soja fraîchement broyée dans tous les pains blancs à la levure » et, dans la catégorie des pains au levain, « enrichir des farines blanches ou bises par 15 % de céréales intégrales et 7,5 % de légumineuses, ou bien par 7,5 % de son et 7,5 % de légumineuses », le tout préalablement fermenté (ou hydraté selon les graines) pour une meilleure valeur nutritionnelle. Certaines farines ont naturellement des IG bas comme la farine d’avoine (IG 40), d’épeautre (IG 40), de pois chiche (IG 35) et d’amande (IG 15). Cheffe de la pâtisserie à IG bas Les Belles Envies, Anna Bellandi associe des farines de meule, de lupin et d’épeautre. Pour améliorer le profil nutritionnel de ses pâtes et baisser leur IG, Oh oui ! utilise du son d’avoine et de la fibre de chicorée. Même son chocolat (NXT Dairy-Free Callebaut) intègre du souchet, ce petit tubercule riche en fibres dont les Espagnols tirent une boisson sans lactose (horchata de chufa). Chez Weiss, la collection VAO 100 % végétale affiche un très faible taux de sucre, avec une formulation à base de riz et de noix de coco.

Nouveautés sur le marché : les références de chocolat à IG bas comme le NXT Dairy-Free Callebaut ou le VAO chez Weiss. © Weiss

Pétrissage court

Au-delà de la sélection de ses matières premières, à choisir les plus complètes et brutes possibles, la manière de les transformer influe sur l’index glycémique des produits finis. En sachant que les sucres alternatifs, non-raffinés ou de terroir, nécessitent déjà des adaptations en fabrication. « Le sucre de coco se présente sous la forme de gros cristaux foncés, que nous mélangeons d’abord aux œufs pour réduire cet aspect granuleux », confie Anna Bellandi. Ses notes de caramel et son fort pouvoir sucrant sont également à prendre en compte dans les dosages. Il en va de même pour les farines, en pâtisserie comme en boulangerie, toutes ne présentant pas les mêmes propriétés (nutritionnelles, physiques, mécaniques) et ne requérant pas les mêmes taux d’hydratation ou d’ensemencement par exemple. D’autant que la méthode de panification influe aussi sur l’IG des pains. « Plus on pétrit, plus on ensemence en levure, plus on aère le pain grâce au développement d’un film de gluten, plus on élève inutilement l’index glycémique. Le pain de tradition française, moins pétri, a effectivement un meilleur IG que le pain blanc courant. Les pains au levain, plus acides et plus denses (comme la plupart des pains bio), ont également de meilleurs IG », rapporte Christian Rémésy. Chantre de la méthode Respectus Panis, le MOF Amandio Pimenta recommande un pétrissage court associé à une fermentation aboutie pour abaisser l’index glycémique. Meunier et boulanger, Jean Kircher défend « une bonne hydratation des pâtes et une fermentation lente, à température constante du pétrin au four (23/24 °C), pour laisser le temps aux enzymes de faire leur boulot et améliorer ainsi la digestibilité et l’IG des pains », analyses à l’appui (lire pages suivantes). Par ses bactéries lactiques et ses levures sauvages, le levain contribuerait encore à améliorer le profil nutritionnel des pains. En pâtisserie, Anna Bellandi préconise en outre « une cuisson douce et maîtrisée des pâtes », celle-ci ayant une influence sur l’IG. De la même manière, les pâtes al dente sont à privilégier en snacking.

Une panification au levain avec des longues fermentations améliorerait l’IG des pains. © B. Guicheteau

Composition des recettes

Dernier point de vigilance : la composition des recettes, tous les ingrédients étant susceptibles d’impacter, positivement ou négativement, l’index glycémique. Au même titre que les graines ou les légumineuses dans le pain, les fruits secs (amandes, noisettes, etc.) apportent des protéines, du gras et des fibres, ralentissant l’absorption du glucose dans le sang. Attention à ne pas négliger l’apport en sucre des fruits, variable suivant les variétés et leur degré de maturité. « Le gingembre, le citron et la cannelle contribuent à faire baisser l’IG », note Anna Bellandi. Cette réflexion sur les assemblages de produits est à élargir à l’ensemble de ses recettes et formules, les aliments interagissant entre eux, comme une salade de pâte, assaisonnée avec de l’huile d’olive et des légumes pour un meilleure index glycémique. Enfin, l’IG s’évalue à l’échelle d’un repas entier dans une optique de charge glycémique globale, prenant en compte la quantité de produits ingérés. Preuve supplémentaire qu’une alimentation diversifiée, glucides compris, est le premier gage d’équilibre nutritionnel.

Le calculer

De la théorie à l’analyse scientifique, plusieurs méthodes permettent d’évaluer l’IG de ses recettes, avec plus ou moins de précision et de fiabilité.

Validé scientifiquement, l’IG des pâtisseries Oh oui ! est mentionné sur l’étiquette des produits. © B. Guicheteau

On compte 70 pour une baguette, 67 pour un croissant, 65 pour un flan… De Michel Montignac à Foster-Powell, de nombreux tableaux répertorient les IG de référence des aliments courants. Mais tous n’affichent pas les mêmes chiffres. Comme nous l’avons vu précédemment, de multiples facteurs influent sur l’index glycémique, variable suivant les individus et donc approximatif par nature. En production, un premier calcul, prenant en compte l’IG de l’ensemble des matières premières utilisées et leur combinaison, permet d’obtenir un résultat théorique, à confirmer scientifiquement si besoin, via une analyse de ses produits finis. Celle-ci consiste à mesurer la concentration moyenne de glucides sanguins dans un aliment suite à son ingestion, par rapport à du glucose pur classé 100.

Analyse in vivo

Deux méthodes cohabitent : l’analyse in vitro (modélisée en labo) et l’analyse in vivo (sur sujet vivant) ne donnant pas exactement les mêmes résultats. Si la première permet de déterminer un IG indicatif, la seconde, plus fiable, s’impose comme la méthode de référence normalisée. Chaque jeudi, la pâtisserie Les Belles Envies réunit ainsi une quinzaine de testeurs volontaires (non-diabétiques) pour goûter ses nouveautés et tester l’évolution de leur courbe glycémique durant la matinée, ces données étant ensuite transmises à un diabétologue pour validation, certification à la clé. Le moindre changement dans les compositions, calculées au gramme près, entraîne une nouvelle analyse. La pâtisserie Oh oui ! fait valider l’IG de ses recettes par un laboratoire agréé reproduisant la digestion humaine. En 2021, elle a en prime réalisé une étude clinique avec l’Institut Pasteur de Lille sur dix individus sains, confirmant ses IG bas. Le boulanger-meunier Jean Kircher a testé ses pains suivant les deux méthodes, « les résultats des analyses in vivo s’avérant moins spectaculaires que ceux de l’analyse in vitro », les deux révélant toutefois des IG nettement inférieurs à la moyenne.

Étiquetage nutritionnel

Coûteuses, ces études sont rarement réalisées par les boulangers, surtout ceux présentant une très large gamme de pains. Pour le nutritionniste Christian Rémésy, les informations nutritionnelles relèveraient plutôt d’un engagement de filière : « Le boulanger peut décider de faire analyser ses pains, mais il serait logique que leur syndicat leur fournisse des compositions types pour les afficher dans leur boutique. » Et de pointer : « En étant dispensé d’un étiquetage nutritionnel, le pain échappe à la comparaison avec d’autres aliments, le consommateur ne peut même pas être informé de la différence de composition des divers types. » Mieux « qualifié » et fabriqué à partir de matières premières sélectionnées, le pain pourrait gagner en valeur symbolique et nutritionnelle. Attention, cependant, à ne pas utiliser des allégations à la légère, contrat de confiance oblige.

Comment le promouvoir

Sous réserve d’être bien relayée en magasin, la valeur nutritionnelle est un argument de vente en boulangerie et un puissant outil de différenciation.

L’artisan propose systématiquement de la dégustation en magasin pour associer l’acte à la parole. © B.Guicheteau

Dans les médias comme chez certains consomma(c)teurs, le discours du boulanger Adriano Farano sur la valeur nutritionnelle de son Pane Vivo (IG de 48,6 d’après une analyse in vivo) fait mouche. Auteur de l’essai « Je ne mangerai pas de ce pain-là » (éd. du Rouergue, 2020), l’artisan-militant en a fait son cheval de bataille et son principal argument de vente, largement relayé en boutique par de l’affichage et une équipe de vente convaincue. Il n’est pas le seul à communiquer sur le sujet. C’est le cas aussi de la boulangerie Aux Co’Pains Gourmands à La Bazoge-Gouet, de la pâtisserie Le Destin du gourmand au Mans ou du Pain des Cairns à Grenoble. Tous font écho à une prise de conscience croissante, alimentée par les acteurs de santé publique et des influenceurs de plus en plus populaires, comme Jessie Inchauspé (alias GlucoseGoddess sur Instagram), auteure du best-seller « Faites votre glucose révolution » (Robert Laffont, 2022). Même certains industriels commencent à se positionner sur le sujet, preuve de son actualité et de son intérêt commercial.

Foire aux questions

Tout ceci contribue à sensibiliser le grand public sur l’index glycémique et à simplifier une notion complexe qui véhicule tout un tas d’idées reçues. D’autant que les sucres se cachent sous de multiples appellations dans l’alimentation, notamment dans les produits ultra-transformés. « Il y a encore un travail de pédagogie à mener. Non, IG bas ne veut pas forcément dire apport calorique bas par exemple », pointe Fanny Barbe de la pâtisserie Oh oui !, qui publie une Foire aux questions (FAQ) à but d’information sur son site web. Parmi les points abordés : le goût, afin de rassurer certains clients réticents, associant à tort IG bas et perte de saveurs. Impulsé par des pionniers comme Pierre Hermé, le désucrage ne date pourtant pas d’hier en pâtisserie. Et en boulangerie, au-delà du pain blanc, la tendance est aux pains spéciaux, en moules ou aux graines.

Enjeux de santé

Pour convaincre les consommateurs, rien ne vaut la prescription et l’expérience. Il est donc conseillé d’associer discours et dégustation en boutique, avec des équipes de vente formées pour expliquer les enjeux de santé liés à un IG bas. « Le pain a été la base de notre alimentation pendant des millénaires, avant d’être associé récemment à de la malbouffe », rapporte Adriano Farano qui propose une recette unique de pain à base de blé dur ancien sur levain naturel, déclinée en différents formats. Sans aller jusque-là, une gamme courte, vendue à son juste prix au regard de sa valeur nutritionnelle, offre l’assurance de ne pas noyer le consommateur dans une surenchère de références et d’informations. Lors du dernier congrès Respectus Panis sur la technique boulangère au service de la nutrition, Sylvain Cabane, boulanger près de Nantes, regrettait que « l’aspect nutrition-santé soit souvent négligé alors que l’artisanat a vraiment des choses à faire sur le sujet ». Et une légitimité à affirmer.

Barbara Guicheteau
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