Du pain, le journal et quelques rayonnages de pâtes et de conserves : pendant des décennies, la boulangerie multiservice de Concots, dans le Lot, (400 habitants) a donné aux villageois accès à l’essentiel. Puis ce qui devait arriver arriva : Dominique Garcia, le boulanger, a eu l’âge de prendre sa retraite. Quand deux jeunes entrepreneurs ont voulu prendre la relève, les banques ont jugé le projet non rentable : Quentin Besse et Thibault Pech se sont vu refuser un prêt. Alors ce sont les habitants qui ont mis la main à la poche pour faire revivre le dernier commerce du bourg.
Parisien, cuisinier de formation, Quentin est installé dans le Lot depuis huit ans. Il s’est reconverti dans la pâtisserie il y a quelques années. Enfant du pays, Thibault a connu un début de carrière dans le Nord, dans la recherche et le développement, avant de revenir au bercail et de prendre le tablier de boulanger. Pour l’un comme pour l’autre, les boulangeries sont le cœur battant des villages. Leur décision de s’associer pour prendre la relève de l’artisan début 2022 a fait le bonheur des riverains. Et pour cause : les premières boulangeries ou dépôts de pain se trouvent à vingt minutes de route.
« Pour la reprise de commerces en zone rurale, la chambre des métiers accorde des prêts à taux zéro de 5 000 à 20 000 euros, surtout s’il s’agit comme ici du dernier commerce du village, relate Quentin. Nous pouvions espérer un prêt de 10 000 euros mais les banques ont jugé notre projet non viable… Cela nous a fait peur et nous a interdit l’accès à une aide et à un crédit bancaire. Heureusement, les habitants du village nous ont beaucoup soutenus. » Le succès de leur cagnotte participative lancée sur la plateforme MiiMOSA leur a remonté le moral. Près de 8 000 € ont été collectés auprès d’une centaine de contributeurs. La somme a aidé à financer le rachat du matériel et la rénovation de la boutique, la mise aux normes de l’électricité, ainsi que l’aménagement d’un labo de pâtisserie.
Une gamme de pâtisseries
« Notre prédécesseur n’était pas pâtissier, reprend Quentin. En développant les pâtisseries, nous avons fait revenir des clients qui achetaient leur pain ailleurs, en sortant du travail. Je propose des gâteaux peu sucrés à base de produits frais et locaux, certains sans gluten… Cette offre est rare à la campagne. Pour ne pas lasser ma clientèle d’habitués, j’essaie de varier tous les jours en fonction de ce que j’ai dans les frigos et de ce que je trouve au marché… » Les gros gâteaux sont plutôt réservés au dimanche, jour de marché hebdomadaire qui amène du monde au village. En semaine, les grands formats ne sont réalisés que sur commande. « On évite les invendus car c’est nous qui les mangeons : il n’y a pas de Too Good To Go rural ! »
L’activité se développe bien depuis l’ouverture en mars 2022. La production aurait même du mal à suivre la demande… La boulangerie représente 65 % du chiffre d’affaires, la pâtisserie 30 % et l’épicerie-presse, 5 %. Mais si cette dernière activité pèse peu dans le chiffre d’affaires, elle est incontournable. Habitués à acheter leur journal en même temps que leur pain, de nombreux clients ont réclamé la presse lorsque la boulangerie a rouvert sans ce service. « Nous la proposons désormais, mais la réception des journaux et le renvoi des invendus chaque jour ajoutent beaucoup de travail », soupire le pâtissier.
Des tournées à domicile
Côté boulangerie, du four à bois sortent chaque jour baguettes, flûtes, ficelles, gros pains d’1,5 kg, pains paillasse, complet ou aux graines, et même des pains au petit épeautre bio. « On va doucement vers le bio, car il y a beaucoup de néoruraux qui nous en demandent », indique Quentin. Tous types confondus, les deux associés vendent 300 à 400 pains par jour en moyenne sur l’année.
L’hiver, les deux tiers sont acquis au cours des tournées. Chaque semaine en effet, leur salariée, Marielle, livre 200 foyers à domicile. Certains villages ne bénéficient que d’une livraison hebdomadaire, d’autres voient passer le camion deux ou trois fois par semaine. Selon les jours, la tournée prend trois à cinq heures, cinq jours sur sept. Le pain livré est vendu au même prix qu’en boutique. « C’est un service que l’on rend, surtout pour les anciens, explique Quentin. Ils sont contents de voir du monde, de discuter, et parfois même d’offrir le café ! » Les clients indiquent leur commande pour la fois suivante ; s’ils sont absents, ils laissent un mot.
L’été, la clientèle locale se réduit mais il y a davantage de touristes : les ventes sont alors majoritairement effectuées en magasin.
Forcés d’assurer à la fois la production et la vente, les deux associés sont en contact permanent avec la clientèle, ce qui est à la fois le meilleur et le pire aspect du commerce de campagne. « Discuter avec les clients, les connaître, c’est sympa, apprécie le pâtissier. Mais quand ils râlent parce qu’ils n’ont pas exactement ce qu’ils veulent, c’est usant… » Pas de regrets cependant : au bout d’un an, les associés se disent « fatigués, mais contents ! »