Derrière sa baie vitrée, Jean-François Fayard interrompt son pétrissage pour répondre au salut d’un passant. « Au début ça faisait drôle de ne plus croiser les clients dans la boutique, sourit le boulanger. Ils me disaient : “C’est plus comme avant !” »
Avant quand, secondé par une salariée, le boulanger (en médaillon) gérait à la fois la production et la vente, dans un local loué à la mairie de Reventin-Vaugris (Isère). Depuis décembre 2021, sa vie a changé. La vente de ses produits a été déléguée à une halle multiservice tout juste installée dans la commune. « Je me lève toujours à 3 heures pour travailler jusqu’à midi ou 13 heures, mais je ne retourne plus en boutique entre 16 heures et 19 heures pour la vente », résume-t-il.
C’est la vétusté des locaux dans lesquels il travaillait qui a permis ce changement. Quitte à engager de coûteux travaux, autant repenser l’ensemble. « Nous voulions revitaliser le centre du village et, surtout, ne pas perdre notre boulanger », souligne Alain Orengia, adjoint au maire du village.
Cette commune de 2 000 habitants « à caractère rural » était riche d’un pôle médical, d’un restaurant, d’un bureau de tabac et d’un coiffeur, mais nul commerce de bouche, à l’exception de la boulangerie. Un projet de halle alimentaire multiservice a vu le jour en partenariat avec Comptoir de campagne, une entreprise fondée par Virginie Hils, dans le but de ramener des services et de l’animation dans des villages désertés par les commerces. Depuis 2016, quatorze “comptoirs” multiservices ont ainsi ouvert dans des communes rurales, sous la forme de succursales ou de franchises. Tous proposent une offre alimentaire complète (fruits, légumes, viande, épicerie) et divers services : poste, conciergerie, etc.
À Reventin-Vaugris, un nouveau concept a vu le jour, “intégrant” le boulanger. Ouvert en décembre 2021, ce Comptoir de campagne héberge le fournil flambant neuf où officie désormais Jean-François. Ce dernier reste artisan indépendant, mais il vend ses pains et ses pâtisseries à la halle multiservice, ainsi qu’à quelques restaurants qu’il continue de fournir en direct. « J’ai d’abord hésité à déléguer la vente car il faut avoir confiance, témoigne-t-il. Mais je voulais être déchargé de ce travail et de l’administratif. Maintenant, je fabrique et c’est tout ! Je n’ai plus de salariée à gérer. J’ai passé un contrat avec Comptoirs de campagne. C’est à eux que je facture tout ; je n’ai plus à me rendre chaque lundi à la banque pour déposer mes sous. »
« Je vends nettement plus qu’avant »
Le boulanger a changé sa façon de travailler et adopté une diviseuse-formeuse pour être plus réactif. « Je pétris la veille et place en bac à 4 °C, puis je façonne juste avant la cuisson. Je peux ainsi cuire tout au long de la matinée, en fonction des ventes réalisées. »
Les pains restent vendus au même prix qu’ils l’étaient en boutique. « Je fais au Comptoir une ristourne de 21 % sur le pain et de 15 % sur les viennoiseries et les pâtisseries, indique l’artisan. Je m’y retrouve en économisant le salaire d’une vendeuse ; et je vends nettement plus qu’avant : en proposant de nombreux services, la halle fait venir plus de monde qu’une boulangerie. » La mairie évoque ainsi une moyenne de 150 passages par jour, avec des pointes à 250 le dimanche matin.
« Surtout, ma qualité de vie s’est améliorée, apprécie le boulanger. Travailler de 2 heures à 20 heures, comme en périodes de fêtes, passé cinquante ans, ce n’est plus tenable… »