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Sophie Thiry.
Sophie Thiry. © DR

Flore intestinale : comprendre ce qui se trame dans nos ventres

Les dernières avancées médicales et scientifiques prouvent l’influence de notre microbiote intestinal sur notre santé. Mais pour arriver à être de bons défenseurs de leurs produits sans avoir à devenir des pros de la diététique, les boulangers doivent comprendre ce qui se passe à l’intérieur de nos ventres. Intestins et bactéries : voyage en “microbiotie”.

L’industrialisation des fabrications, les process toujours plus rapides, la vente en grandes surfaces à des prix hyperconcurrentiels de produits standardisés, ont contribué à dégrader l’intérêt nutritionnel des produits de boulangerie. C’est la raison pour laquelle Lise et Prisca, à la tête de la boulangerie Regain à Laxou, en Meurthe-et-Moselle, voient arriver dans leur boutique des clients envoyés par des naturo­pathes. « Notre pain est uniquement au levain, précise Élise. Ce qui implique une fermentation longue en milieu acide, favorable à la fabrication de certaines enzymes qui vont prédigérer le gluten. D’où l’intérêt pour les personnes sensibles. Les apports en fibres sont aussi conséquents dans nos pains, avec des farines complètes ou semi-complètes. » À Metzeresche, petite commune de Moselle, le boulanger Michaël Weyland, lui, a désormais des clients qui viennent de Metz, ville distante de 30 km ; des consommateurs très satisfaits des pains “santé” qu’il a mis au point.

Le pain multifibre a la capacité en effet de moduler la compositio­n du microbiote intestinal. Il agit en stimulant des bactéries qui dégradent les fibres alimentaires, certaines étant susceptibles d’exercer des fonctions protectrices en prenant le pas sur d’autres espèces, inflammatoires. C’est, hélas, beaucoup moins vrai pour le pain blanc, qui peut même avoir un impact négatif car il est trop riche en sucres, en sel et, surtout, en gluten, cet agrégat de protéines qui provoque parfois des soucis de digestion (lire encadré). Les intolérances au gluten qui se sont développées depuis une quinzain­e d’année­s en sont un exemple probant.

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L’intestin, un deuxième cerveau

Christian Rémésy, ancien directeur de nutrition humaine à l’Institut national de la recherche agro­nomique (Lire LT 340), regrette dans son dernier livre* que les boulangers n’aient pas assez travaillé depuis quarante ans sur cette valeur nutritionnelle. Elle représente pourtant une vraie carte à jouer pour la profession. Encore faut-il bien comprendre comment fonctionne notre organisme et l’alchimie complexe qui a cours dans notre intestin pour fabriquer les bons produits et, surtout, être capable d’en parler.

En 2015 paraissait un livre au titre surprenant, écrit par une gastro-entérologue allemande, Le charme discret de l’intestin**. Giula Enders y démontre, études scientifiques à l’appui – mais avec beaucoup de pédagogie –, que notre intestin peut être considéré comme un deuxièm­e cerveau tellement il est influencé par nos compor­tements ; l’inverse étant également vrai.

Plus récemment, l’épidémie de Covid-19, en affectant plus fortement les personnes en surpoids, a confirmé ce que savent les professionnels de santé : il se passe bien des choses tout au long des six à sept mètres de ce tuyau mal connu qu’est l’intestin, et son dysfonctionnement impacte fortement notre état physique, voire mental. « Les personnes en surcharge pondérale ont généralement un intestin dit poreux, qui laisse passer dans le sang mauvaises bactéries et virus, confirme Sophie Thiry, docteu­r en pharmacie et naturopathe. S’y joute un tissu adipeux (graisses) qui va libérer des facteurs inflammatoires. Dans le cas du Covid-19, cela provoque chez ces personnes un phénomène dangereux, un orage cytokinique, terme tant utilisé par les médias durant la pandémi­e. »

10 000 milliards de bactéries

L’intestin, notre deuxième cerveau, vraiment ? Peut-être pas aussi intelligent que son collègue des étages supérieur mais un organe sensible, susceptible, fragile, car soumis en première ligne aux aléas de notre alimentation, de notre activité physique, mais aussi de notre état émotionnel. Qui n’a pas eu le ventre “noué” en cas d’anxiété et, surtout, de stress intense ? C’est que notre intestin, nous ne le ménageons pas, lui faisant absorber consciemment ou non – dans le cas des polluants, des allergènes, des toxines ou des métaux lourds – une multiplicité d’aliments et de boissons qui auront un impact sur sa bonne santé.

Le pain multifibre a la capacité de moduler la compositio­n du microbiote intestinal

Notre intestin c’est aussi, et surtout, le réceptacle d’une flore extrêmement dense et variée, le fameux microbiote intestinal. « Celui-ci est composé de 10 000 milliards de bactéries, soit plus que le nombre des cellules de notre corps, explique Sophie Thiry. On parle d’ailleurs d’éco­système intestinal tellement il renferme de composants aux interactions multiples. Les cellules de la paroi intestinale, elles, sont normalement jointives. Si ce n’est plus le cas, il y a perméabilité. Des bacté­ries, des allergènes, des toxines vont pouvoir passer dans le sang. Des recherches récentes ont montr­é que, en plus de certaines pathologies connues, comme le diabète, les allergies, les problèmes dermatologiques, cette perméabilité peut induire l’autisme, les maladies d’Alzheimer, de Parkinson. Les chercheurs s’interrogent aussi sur la maladie de Charco­t, qui touche prioritairement des hommes dans la quarantaine, souvent très sportifs. Le sport, pratiqué de façon intensive, provoque une suractivité au niveau musculaire, avec un afflux de sang qui a lieu au détriment du système digestif, alors moins bien irrigué. »

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De nombreux facteurs peuvent influer et donc altérer le bon fonctionnemen­t de cet écosystème si parti­culier : la génétique, l’environ­nement, l’alimentation et la désormais vilipendée malbouffe, mais aussi l’hygiène de vie, les médicaments — et principalement les antibiotiques, dont on a heureusement ralenti l’usage face aux phénomènes de résistance, les anti-­inflammatoires et la chimiothérapie.

Le trop, ennemi du bien

Le stress, en faisant grimper le taux de cortisol et l’adrénaline, contribue également à détruire une partie des bonnes bactéries. « Comme dans bien des domaines, le trop est l’ennemi du bien, insiste Sophie Thiry. Trop de gras, de sucres, de sodas, de plats préparés, de café, est nocif. Avec des conséquences qui ne sont pas que visibles sur notre tour de taille ou sensibles au niveau de nos articulations. À l’intérieur, c’est le bazar, avec digestions difficiles, ballonnements, colites… Puis, peut survenir la maladie. »

La flore que contient l’intestin se compose de deux sous-familles : celle dite de fermentation et celle de putréfaction. La dernière sert à digérer les protéines, les plus difficiles à assimiler. Pour que ces deux partenaires travaillent correctement, il faut ingérer suffisamment de fibres. Les recommandations sont de 30 g par jour, dont 15 g de solubles et 15 g d’insolubles. Les premières sont disponibles dans les fruits, le pain complet, les pâtes et le riz complets, les légumineuses, les oléa­gineux. Les secondes vont donner la sensation de satiété, favorise­r la sécrétio­n d’insuline, et donc équilibrer la glycémie. On les trouve dans la peau des légumes, des fruits. Elles ont une action de nettoyage mécanique de l’intestin et augmentent le volume des selles.

Mauvaise pioche en revanche avec les graisses saturées en excès, qui altèrent l’état du microbiote. Ces graisses hydrogénées se retrouvent dans les pâtes feuilletées, les plats préparés, et ceux servis dans les fast-foods. L’excès de sucres rapides va, quant à lui, amener à se multiplier les bactéries pathogènes. La flore de putréfaction s’en trouvera augmentée, ce qui favorisera les phénomènes inflammatoires. Il y aura alors suractivité du système immunitaire de l’éco­système intestinal au détriment du système immunitaire du reste du corps. Le terrain idéal pour la survenue de pathologies diverses.

« Si on est perdu en termes de régime alimentaire, devant des injonctions variées, l’idéal est de suivre celui dit méditer­ranéen, dans lequel prédominent huile d’olive, poissons, fruits, légumes et céréales, souligne Sophie Thiry. Certains produits sont à limiter, comme les viennoiseries et les gâteaux, qui doivent rester des aliments plaisir à ne pas consommer au quotidien ! D’ailleurs, les boulangers-pâtissiers devraient proposer pour le goûter des alternatives, comme des compotes ou des fruits cuits, très intéressants sur le plan diététique. »

Christian Rémésy plaide, lui, pour du pain uniquement à base de farine complète, associant autant que possible graines oléagineuses et légumineuses. Un aliment aux propriétés alors très intéressantes car possédant « tout ce qu’il faut », selon le nutritionniste : fibres, minéraux et protéines, véritables alliés de notre santé.

* Le charme discret de l’intestin, tout sur un organe mal-aimé. Actes Sud. 2014.

** Sauvons le pain. Thierry Souccar Éditions. 2022.

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