Pour Roseline et Aurélien Guerard-Christen, l’ouverture de leur boulangerie à Lusse, petit village des Vosges, est la concrétisation d’un choix, d’un cadre et surtout d’un rythme de vie. Pour eux et pour leurs cinq enfants. Pas de journées de travail de 12 heures, ni d’ouverture de magasin 6 jours sur 7, ni d’emplacement dans un centre-ville. Le fournil de Un pain après l’autre est mis en route deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, en tout début de matinée. Puis Roseline entame sa tournée dans les villages alentour. La boutique de Lusse ouvre uniquement les mardis et vendredis de 17 h à 19 h. Une grosse partie de la production se fait en fonction des commandes passées en ligne. La boulangerie livre aussi des boutiques de produits bio, des magasins verts, des fermes relais et est présente sur des marchés du secteur.
La création de cette activité résulte d’une réorientation professionnelle pour Aurélien, 43 ans, auparavant psychologue pendant 15 ans à Saint-Dié. Roseline, titulaire d’un BTS dans le commerce, gérait son Airbnb dans lequel elle organisait des ateliers de cuisine. « Je cherchais un métier plus concret, plus manuel, explique Aurélien, en rapport avec notre intérêt commun pour le local, le bien-manger. »
« Il y a deux ans, pendant nos vacances, alors que nous étions toujours à la recherche des bons artisans, nous avons goûté le pain au levain de la Maison Saint-Honoré de Pierre Ragot, à Marseille, raconte Roseline. Ce n’était plus le pain punition d’il y a trente ans, dur, acide. Mais un délice et une révélation ! » Aurélien tient là sa reconversion. Il se forme pendant quatre mois à l’EIB (École internationale de boulangerie), près de Sisteron, spécialisée pour les adultes en reconversion professionnelle. En plus de l’aspect technique, des connaissances physico-chimiques, il apprend la gestion et le montage d’un business plan. Il effectue aussi un stage près de Nancy, dans la boulangerie Regain (lire La Toque Magazine n° 335, p. 26), dont la philosophie correspond à la sienne, loin des pratiques de la boulangerie industrielle.
La boutique du village est ouverte les jours de fabrication, les mardis et vendredis, mais à des horaires très restreints, de 17 h à 19 h, en raison du temps consacré aux livraisons dans les points-relais. @D.Peronne
La gamme de pains @D.Peronne
La boutique du village est ouverte les jours de fabrication, les mardis et vendredis, mais à des horaires très restreints, de 17 h à 19 h, en raison du temps consacré aux livraisons dans les points-relais. @D.Peronne
Un loyer très modeste
Puis le couple prospecte pour trouver un fonds. La municipalité de Lusse, 500 habitants, près de leur village d’habitation, est enthousiasmée par le projet.
La petite commune qui n’est pas isolée, se trouve à un quart d’heure de Saint-Dié, près d’un axe très passant, Nancy-Strasbourg. La mairie y voit une opportunité de redynamiser son territoire. Avec l’aide de fonds européens, elle entreprend de gros travaux dans l’ancienne école, fermée depuis vingt ans. Création d’un fournil, d’une boutique, mise aux normes, les travaux sont importants. Pour le couple, le prêt à négocier à la banque s’avère peu élevé. « Nous avions visité des locaux sur Saint-Dié, raconte Roseline, mais le montant du loyer atteignait parfois 10 000 € par mois ! Il en faut des pains pour faire face à de telles charges. Ici le loyer, 500 € par mois, est très modique. » L’ambition du couple est surtout de vivre et de travailler en accord avec son éthique : évoluer et développer une activité en milieu rural, proposer des produits de qualité, dont le goût est le premier argument de vente. D’emblée, ils choisissent le bio et le levain naturel. Chez Un pain après l’autre , pas de baguette blanche ! Toute la farine bio provient du moulin Decollogne, en Bourgogne, qui travaille à la meule de pierre. Depuis le démarrage, les affaires marchent bien. « Nous pensions que les points de vente que nous livrons, les magasins bio notamment, écouleraient un volume conséquent, et que la vente sur place serait moindre, les gens à la campagne étant plus attirés par le pain blanc. C’est l’inverse qui se produit, souligne Roseline. Les plus anciens nous disent retrouver le bon goût du pain, du vrai, qu’ils ont connus dans leur jeunesse. Ce qui explique notre succès. Et puis, nous nous adaptons sans cesse. La croûte du pain de campagne est épaisse mais Aurélien vient de mettre au point le même pain, en version moulée de 2 kg, à la croûte plus fine, plus facile à découper et à mâcher. » La production se diversifie ainsi régulièrement car Aurélien tente de nouveaux produits, comme les roulés fabriqués en version salée, en mode pizza et sucrés, avec des parfums qui changent régulièrement. Les enfants aiment mettre la main à la pâte et ont créé des cookies. Là aussi les parfums varient : écorce d’orange, pavot, citron, fruits, « ils sont fiers de voir les étiquettes sur les sachets avec leur prénom », sourit Roseline. Afin de continuer à se faire connaître, les produits de la boulangerie sont présentés lors de manifestations festives et culturelles voisines. Une newsletter est également envoyée régulièrement aux clients pour les informer des dernières nouveautés.
Roseline fait goûter une nouveauté à une agricultrice du secteur. Cette dernière repartira avec un sac de pain rassis qu’elle donnera à ses cochons, « Un pain après l’autre » visant le zéro gaspillage. @D.Peronne