Tranquille. L’adjectif a été trouvé par les anciens collègues de Matthieu Prêtre, qui se sont fendus d’une séance de brainstorming à cet effet. Objectif, trouver le qualificatif qui lui conviendrait le mieux. Il est vrai que l’homme, 38 ans, semble serein, gérant son activité sans stress ni l’agitation que l’on retrouve dans certains fournils… Ce mercredi après-midi, pas de fabrication de pain. Léo, l’apprenti, confectionne des brioches tressées. Julien, l’ouvrier boulanger, surveille d’un œil tout en pianotant sur l’ordinateur installé sur le plan de travail fariné. La bonne humeur règne dans le fournil-boutique-bureau. Matthieu prend le temps d’expliquer son parcours et comment il s’est fixé à Sainte-Geneviève, petite bourgade de 200 âmes, en haut d’une colline qui domine la vallée de la Moselle, entre Metz et Nancy. « J’ai ouvert la boulangerie en mai 2019, après un parcours de reconversion, raconte-t-il. J’étais ingénieur dans le domaine de l’éclairage public. J’aimais ce métier, mais j’avais l’impression de ne devenir qu’un numéro dans cette très grosse entreprise, avec des décisions stratégiques parfois incompréhensibles. Je cherchais vraiment une activité plus proche de la terre, qui m’a toujours attiré ». Originaire du Doubs, en Franche-Comté, Matthieu, dont les grands-parents étaient agriculteurs, a été élevé à la campagne. « J’ai toujours eu des convictions écologiques assez poussées, souligne-t-il. Le film Demain(1) a été vraiment un déclencheur, avec le sentiment que je “finirais” berger dans le Larzac ! » Matthieu profite d’un plan de compression du personnel pour entamer une formation dans des conditions financières intéressantes. Il passe un CAP au Cepal(2) de Nancy, en 2018, puis enchaîne plusieurs petites formations courtes à l’École internationale de boulangerie de Sisteron. Ce ne sera pas les ovins, mais le pain ! Et, bien sûr, bio et au levain.
Un rythme durable
Il se met à la recherche d’une commune rurale où s’installer, la grande ville étant bien loin de ses priorités. La communauté de communes de Pompey lui trouve cette ancienne salle de catéchisme, dans le village de Sainte-Geneviève. La mairie, enthousiasmée par le projet, prend en charge tous les travaux, installe le fournil, puis lui octroie un bail avec un loyer modeste de 420 € par mois. “La Miche Tranquille” est née. D’emblée, l’objectif de Matthieu est de redonner de la vie au village, de créer du lien social. Seul au départ, il embauche Julien, venu faire un stage CAP, en juin 2021. Léo, apprenti en brevet professionnel à Nancy, est présent depuis août 2021. Des stagiaires sont régulièrement accueillis.
Depuis la mise en route, les rythmes de fabrication, les heures d’ouverture sont restés les mêmes. Seuls les volumes ont augmenté. Le fournil tourne le mardi, le jeudi et le vendredi, mais les boulangers travaillent du lundi au vendredi. Le mardi, la petite équipe attaque à 5 h, entre 6 h et 7 h 30 les autres jours. Pas de travail la nuit, le week-end. Un rythme « durable » pour Matthieu qui entend préserver sa santé et celles de ses employés. La vente se fait sur place, le mardi de 16 h à 19 h, le jeudi de 10 h 30 à 15 h, le vendredi de 14 h à 16 h. Les clients doivent au préalable passer commande, par téléphone ou via le site internet de réservation. La Miche tranquille livre aussi des Amap, des magasins bio, soit cinq points de vente à Nancy et Pont-à-Mousson. La répartition des ventes se décompose en 20 % sur place, 60 % dans les magasins bio et 20 % dans les Amap. Pendant le premier confinement, la boulangerie était même devenue le « café du coin ». Pas pressés, les clients papotaient devant la porte… Avec un chiffre d’affaires qui avait alors augmenté de 30 %.
La farine bio provient du moulin du Petit Poucet à Royaumeix, toujours en Meurthe-et-Moselle (voir La Toque n° 319, décembre 2020). Pour aller plus loin dans la démarche “bio et local” et surtout fournir sa propre farine, Matthieu va devenir agriculteur. Pour cela, il va reprendre avec sa compagne, maraîchère, l’exploitation de 75 hectares de ses beaux-parents, située dans une commune proche. Comme la conversion au bio nécessite trois ans, l’objectif est de produire les premières farines bio d’ici fin 2025. Un Gaec, structure juridique qui permet l’exploitation agricole à plusieurs, va lui permettre de s’associer avec un autre paysan-boulanger et deux maraîchers. Une installation de tri et de stockage des céréales va être mise en place et un moulin acheté. Le nom de cette nouvelle structure est déjà trouvé : ce sera le “Gaec d’une pierre, deux courges” !
(1) Film documentaire de 2015 de Cyril Dion, mettant en avant des expériences « alternatives » dans les domaines de l’agriculture, l’énergie, l’économie, face aux perturbations écologiques.
(2) Centre d’enseignement et de perfectionnement des métiers de l’alimentation.
Un collectif de paysans-boulangers
La Meurthe-et-Moselle est, depuis plus de vingt ans, un département dynamique en matière d’agriculture biologique, de produits locaux et de circuits courts. Le nombre de paysans-boulangers y augmente aussi régulièrement. Depuis 2017, a été mis en place un collectif sur la Lorraine qui regroupe des paysans-boulangers ainsi que des boulangers “directs”, ceux qui achètent leur farine chez les agriculteurs. Ils sont maintenant une trentaine, majoritairement en bio. La structure est animée par l’association Bio en Grand Est. L’objectif du collectif est de fonctionner comme un groupement d’achat. Son action s’étend aussi à des formations, comme celle sur le travail des farines de blés anciens.
Repères
> Ouverture en mai 2019
> Équipe : 2,5 ETP
> Production : 20 tonnes de pain fabriqués par an
> Ouverture : du mardi au vendredi.
> Jours de fabrication : trois /semaine
> Prix moyen au kilo (campagne) : 5,13 €
> Gamme (tout bio et au levain naturel pour les pains) : campagne, complet, grand épeautre, petit épeautre nordique aux graines, aux noix, selon les saisons : au sarrasin, à la châtaigne, au potimarron, etc., brioché nature, chocolat, brioche pur beurre, crack’apéros, biscuits (farine de petit épeautre, flocons d’avoine, beurre, pépites de chocolat)
La mairie de Sainte-Geneviève a fait réaliser les travaux à sa charge pour transformer cette ancienne salle de catéchisme, inutilisée depuis vingt ans. La fenêtre qui donne sur la rue a été bien utile pour servir les clients pendant les confinements.
Les pains “bénis” de Mathieu Prêtre.
Mathieu Prêtre.