Le cacao deviendrait-il une denrée rare ? Suivant l’adage “ce qui est rare est cher”, la production déficitaire de ces dernières années a fait flamber les cours. Un record absolu, avec plus de 12 000 dollars américains la tonne (USD/t), a été atteint en décembre 2024. Les cours ont ensuite fluctué au gré des prévisions de récoltes en Afrique de l’Ouest — qui produit 60 % du cacao mondial. Fin juillet 2025, il s’échangeait toujours à plus de 8 000 USD/t aux bourses de Londres et de New York : un niveau quatre fois plus élevé que deux ans auparavant.
Les hésitations des marchés financiers sont amplifiées par le jeu des spéculateurs. Mais elles sont d’abord dues au manque de données fiables sur les arrivées de fèves aux ports d’Abidjan (Côte d'Ivoire), en attendant des chiffres de récolte officiels. L’organisation internationale du cacao (International Cocoa Organization [ICCO]) évoque dans son rapport de juin “une qualité médiocre” des fèves et juge “possible que des lots aient été rejetés par certains exportateurs et acceptés par d’autres, menant à un double comptage”. Elle suggère également que le chargement des camions “pourrait parfois être surévalué”*.
Pas de pénurie à venir
« On ne manquera pas de cacao, assure Christian Cilas, expert de la filière au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Quand les prix augmentent, les pays producteurs réagissent. Le climat devient très compliqué dans le principal bassin de production mondial, mais les cours élevés en incitent d’autres à investir. Les tonnages perdus devraient être rattrapés dans les années à venir, mais la géographie du cacao peut être modifiée. » L’Afrique de l’Ouest a en effet enchaîné les perturbations climatiques : « Les très fortes pluies durant l’été 2023 ont favorisé les maladies et diminué la pollinisation, puis il y a eu une grande sécheresse l’année d’après, illustre l’expert du Cirad. Le climat est aussi compliqué qu’imprévisible. Les cours élevés pourront cependant inciter le gouvernement ivoirien à adopter une politique de replantation et d’investissement. Il faudra alors faire les bons choix agronomiques : le Cirad, entre autres, est là pour les accompagner, en travaillant sur les variétés de cacaoyers, les systèmes agroforestiers et la conduite des cultures en général. »
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Inertie des changements amorcés
La Côte d’Ivoire a mis un an à bénéficier des prix élevés : son système de vente par anticipation lui a fait écouler sa récolte 2024 avant la hausse des cours. À ce décalage s’ajoute l’inertie liée au cycle agronomique : « Un cacao planté aujourd’hui ne sera productif que dans cinq ans », souligne Christian Cilas. Les changements de pratiques prennent aussi du temps. « Les systèmes agroforestiers, par exemple, sont intéressants, car ils tamponnent les effets du climat et permettent d’utiliser moins d’engrais et de phytosanitaires, poursuit-il. Mais ce ne sont pas des recettes prêtes à l’emploi : il faut trouver les bonnes espèces d’arbres à associer aux cacaoyers, qui varient selon les conditions locales. »
Un enjeu est également de maintenir l’attractivité de la cacaoculture dans des états où de nombreux producteurs sont misérables. La hausse des cours est une bonne nouvelle. « Dans les pays où le prix du cacao n’est pas fixé par le gouvernement, les producteurs ont enfin des revenus qui leur permettent d’améliorer leur habitat, d’acheter du bétail…, observe Christophe Eberhart, ingénieur agronome et cofondateur d’Ethiquable. Ils ont aussi les moyens de soigner davantage leurs plantations pour améliorer les rendements. »
Pas toujours de retombées directes
En Côte d’Ivoire, les producteurs ont vendu leur récolte 2024 au même prix étique que l’année précédente. « Mais le pays vend aujourd’hui à celui de marché, reprend Christophe Eberhart. Le gouvernement a déjà monté ses prix aux producteurs, à environ 4 USD/kilo. C’est mieux qu’avant, mais presque deux fois moins qu’en Équateur où les prix ne sont pas fixés par le gouvernement, et où les producteurs profitent directement de la hausse des cours. »
Avec un décalage dans le temps – car beaucoup de gros acheteurs avaient fait des stocks à bas prix, la flambée des cours a calmé la demande mondiale. En 2025, les statistiques de broyage sont en baisse. Sur le continent européen, premier importateur mondial de fèves, le volume traité au second trimestre 2025 a reculé de 7,2 % en glissement annuel**. La baisse est plus forte qu’attendue, beaucoup d’industriels ayant adapté leurs recettes pour réduire la part de cacao.
Tension sur les filières bio et équitables
« Les stocks mondiaux restent très bas mais se reconstituent petit à petit, observe Christophe Eberhart. En revanche, il y a une vraie pénurie sur les cacaos bio, équitables et de spécialité. La bio a sans doute perdu des producteurs car les prix du cacao conventionnel sont devenus aussi attractifs, en imposant moins de contraintes. En raison de ces tensions sur la production, les prix restent autour de 10 à 12 000 USD/tonne. Cet écart de prix est justifié ! poursuit le cofondateur d’Ethiquable. Désherber trois fois par an à la machette est plus long et coûteux que d’asperger le sol de glyphosate… Et un cacao de qualité et tracé nécessite de pouvoir payer des techniciens. Les nouvelles exigences imposées par le marché bio européen, pour renforcer la crédibilité du label dans les pays du Sud ont aussi fait doubler les coûts de certification pour les coopératives. »
* International Cocoa Organization. Cocoa market report. Juin 2025.
** European Cocoa Organization. Cocoa Grind Stats for QA 2025. Juillet 2025.