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La texture est un pilier de la qualité et de l’identité d’un produit boulanger. © A.Tandeau
La texture est un pilier de la qualité et de l’identité d’un produit boulanger. © A.Tandeau

dossier Cap sur le goût : maîtriser les textures du pain (1- De la théorie à la pratique)

Comprendre les phénomènes agissant sur la texture de la mie et de la croûte permet d’améliorer son expertise technique. Les notions générales et les applications pratiques, notamment en tradition française.

La texture est un élément essentiel de la qualité du pain. Elle conditionne la mâche et le comportement en bouche à la mastication (croustillant, fondant, fermeté…). Elle détermine la résistance de la mie (au tranchage, au tartinage, au trempage…), la durée de conservation et bien sûr la perception de fraîcheur. Elle porte aussi les saveurs (acide, salé, sucré…) et les arômes (de grillé, de blé, de levain…).

La texture de la tradition française est héritée d’un savoir-faire centenaire.

A.Tandeau

Pour Hubert Chiron, ingénieur d’étude et responsable du fournil expérimental de l’unité biopolymères interactions assemblages à l’Inrae de Nantes-Angers, la texture du pain est un sujet central et un vaste domaine d’exploration et de recherches. Aussi, avant de chercher à optimiser la texture de ses produits, cet expert souhaite-t-il apporter quelques notions clés.

Les pains moelleux gagnent en fraîcheur et en conservation lorsqu’ils sont emballés.

A. Tandeau

De la densité à la mâche

« La texture du pain est conditionnée par sa densité (rapport entre masse et volume) qui est un critère objectif et mesurable. Par exemple, la densité du pain blanc est proche de 0,15 g/cm3, celle du pain au levain voisine de 0,35 g/cm3 et celle d’une baguette de tradition française (TF) se situe autour de 0,25 g/cm3, explique Hubert Chiron. La texture est aussi définie par la structure alvéolaire : la taille des alvéoles, leur niveau d’irrégularité et surtout l’épaisseur des parois alvéolaires. En TF, on recherche des alvéoles moyennes à larges, irrégulières et aux parois épaisses. À l’inverse, dans le pain de mie, on souhaite des alvéoles très petites, régulières et aux parois fines. Dans le pain au levain, les consommateurs préfèrent des alvéoles moyennes, irrégulières et aux parois épaisses », ajoute-t-il. Ces éléments de texture sont importants à décrire car ils conditionnent la consommation (tartinage et tranchage par exemple) et la dégustation. À cet effet, le critère de « mâche » est un paramètre majeur. « En TF, la mâche est relativement longue du fait d’une mie légèrement ferme et élastique tout en restant souple. Mais si la mie et la croûte sont trop caoutchouteuses, la mâche devient trop longue et la baguette est difficile à mastiquer. À l’opposé, les buns, brioches et pains viennois ont une mâche courte du fait de leur faible densité et de leur structure alvéolaire. Cette texture moelleuse à mâche courte semble plaire aux jeunes consommateurs habitués aux sandwichs de fast-food ou aux pains de mie industriels. Ce phénomène n’est pas forcément une bonne nouvelle au pays de la baguette, mais c’est un autre sujet », ajoute-t-il.

Le levain est un améliorant naturel de texture, de fraîcheur et de conservation.

Studio Tekhne/Lesaffre

Explosion de bulles

Autre concept à maîtriser : celui de la coalescence. Il s’agit d’un phénomène physique qui se produit dans les premières minutes de la cuisson et qui conduit à une explosion partielle de la structure alvéolaire. « Sous la pression de la vaporisation de l’eau, les parois fragiles se rompent, les alvéoles fusionnent tandis que le pâton prend du volume et baisse en densité, explique Hubert Chiron. Ce phénomène est recherché pour certains produits (comme la TF). Il est favorisé par l’hydratation élevée de la pâte, la cuisson vive sur sole réfractaire (transmission de la chaleur par conduction) et les formats de pâtons de faible section transversale. Les pâtes façonnées en baguettes longues et fines favorisent la coalescence, contrairement aux grosses tourtes de pain. La cuisson sur filet ou en moules limite également le phénomène, de même qu’un four insuffisamment chaud avec peu d’inertie. Le toucher humide et la couleur nacrée de la mie sont d’excellents critères de qualité (le boulanger dit que la mie est “grasse”). Ils sont liés à la présence d’eau libre au sein des parois alvéolaires épaisses. La typicité aromatique des farines et des levains ainsi que la conservation sont également améliorées avec cette texture de mie “sauvage” ». Ainsi, pour une même recette de pâte, on peut obtenir des saveurs et des textures de mie différentes selon le format, la courbe de cuisson et le type de four utilisé.

Les pains à mie dense sont appréciés pour le tartinage, le trempage et les sandwichs.

Studio Tekhne/Lesaffre

Ingrédients simples et naturels

La qualité et le choix des ingrédients jouent bien sûr un rôle important. Pour une TF, en dehors des aspects réglementaires, la farine de blé est capitale, qu’elle soit issue de blés modernes (gluten fort) ou anciens (gluten fragile). La farine dite de tradition est évidemment idéale. Avec une autre (de type seigle, épeautre, sarrasin…), il est quasiment impossible d’obtenir une mie irrégulière. L’intensité de la production gazeuse joue aussi un rôle clé. « Une faible dose de levure et/ou l’ajout de levain liquide favorisent ce phénomène de coalescence (en panification sur direct ou au froid), précise Hubert Chiron. L’hydratation a aussi une action déterminante :  les pâtes douces fortement hydratées augmentent l’irrégularité alvéolaire, alors que les pâtes plus fermes ont tendance à produire une mie plus fine et régulière et plus sèche. L’absence d’émulsifiants, d’acide ascorbique, de sucres et de matières grasses est également fondamentale en TF. Le décret pain de septembre 1993, qui proscrit ces additifs, protège ce savoir-faire français et sanctuarise en définitive la recette très épurée de la baguette qui conditionne cette texture si particulière. » Sans cette protection juridique et cet attachement viscéral pour ce produit emblématique en France, la baguette de TF aurait certainement disparu au profit de baguettes à l’alvéolage régulier, à la croûte ultra-fine, à la mâche plus courte. Au contraire, lorsqu’on veut des pains moelleux(lire la partie 2), l’usage de sucres et de matières grasses est recommandé. Dans ces recettes, on augmente également la dose de levure, on diminue le pointage et on place les pâtons à température plus élevée. La surhydratation doublée d’une cuisson par convection pas trop vive (en moules et fours ventilés) favorise une croûte fine et molle et une mie moelleuse.

Le couple pétrissage-pointage est essentiel à maîtriser lorsqu’on veut obtenir une bonne irrégularité alvéolaire.

A.Tandeau

Du temps au temps

Concernant le procédé, certains prérequis sont importants. « Le pétrissage très modéré (vitesse, temps) doublé d’un long pointage (cuve, bac) est essentiel en TF. La fermentation peut se faire à température ambiante en masse (sur direct) ou au froid en bac (pousse lente). On ne parvient pas à obtenir de l’irrégularité alvéolaire avec un pointage court et un pétrissage intensif, assure le chercheur. L’objectif du couple pétrissage-pointage consiste en fin de compte à obtenir une pâte qui a de la force et du gaz carbonique (bulles visibles) lors de la pesée et du boulage. La division et le façonnage doivent d’ailleurs être les plus doux possible (sans excès de compression manuelle ou mécanique) afin de conserver la porosité de la pâte. Ensuite, on enfourne après un temps de repos relativement court (apprêt de 30-40 minutes par exemple), afin d’éviter le relâchement (le boulanger dit qu’il enfourne “jeune” ou “vert”). En préservant les gaz, on optimise le développement et la coalescence. Le retour de cette texture si caractéristique des baguettes de TF a constitué un tournant décisif dans la technologie boulangère récente. La TF permet d’atteindre un équilibre subtil entre la croûte (semi-épaisse, brillante, caramélisée et croustillante) et la mie (irrégulière, grasse et crème) », complète le chercheur. Cette texture de mie et de croûte est aussi déterminante pour le goût et la conservation de la baguette de tradition. Un tel niveau de qualité est en fin de compte obtenu par une conjonction de choix techniques opérés par toute une filière.

La nature de la farine conditionne fortement la texture de mie et de croûte.

A. Tandeau

Levains améliorants de goût et de texture : nouveautés

Lesaffre

Livendo crème de levain d’épeautre est un levain liquide bio vivant à base d’épeautre. Sa couleur claire et sa saveur douce permettent de ne pas trop typer les pains, viennoiseries et pizzas. Ses arômes apportent une certaine originalité en panification de tradition française, biologique ou au levain (dans lesquels il est autorisé). Dosage : 10-20 %.

Puratos

O-tentic bel canto est un levain bio dévitalisé adapté aux procédés de longue fermentation. Il renforce la conservation et la fraîcheur du pain et permet de développer des saveurs légèrement maltées-toastées et une mie légèrement brune, alvéolée et « grasse ». Compatible avec la fabrication de pains bio et de baguettes typées. Dosage : 2-4 %.

Philibert Savours

Phil levain Camp Rémy est un levain vivant à base de blé Camp Rémy cultivé en CRC. Cette variété ancienne confère un arôme de beurre noisette très apprécié des consommateurs. Le levain actif apporte une mie plus humide et moelleuse, une mâche agréable et une croûte épaisse et craquante. Utilisable en tradition française. Dosage 8-15 %.

Retrouvez ici la partie 2 de ce dossier : « Pains spéciaux, comment les maîtriser ? »

Armand Tandeau
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