Dossier

Fabrication Ces boulangeries sont-elles vraiment artisanales ?

Les chaînes de boulangerie exploitent souvent à profit l'appellation boulangerie ou un concept artisanal. Les grandes enseignes de boulangeries qui fleurissent sur le territoire sont-elles vraiment artisanales ? Quand on regarde de près le fonctionnement de ces structures, peut-on encore parler d'artisanat ?

Après l’avènement des points chauds (industriels) et des boulangeries de marque meunière (artisanales), les chaînes ou réseaux de boulangerie (comme Marie Blachère, Paul, Louise ou Ange) se développent à une vitesse grand V autour des grandes agglomérations (Paris, Marseille, Lyon, Nantes, Rennes, Toulouse…) et partout en France. Elles exploitent souvent à profit l’appellation « boulangerie » et un concept de boutique qui fleure bon l’artisanat de proximité et le fait maison. Mais quand on regarde de près leur fonctionnement, leur achat de farine et leur production, peut-on vraiment parler d’artisanat ? Sont-elles différentes des autres enseignes nationales comme les franchises de points chauds et les boulangeries affiliées à une marque meunière ?

Plan du dossier :

• Les points chauds et terminaux de cuisson intégrés

• Les boulangeries de marques meunières

• Les chaînes de boulangeries

• Des boulangeries hybrides mi artisanales - mi industrielles

• Redéfinir la boulangerie artisanale

• Revenir à une fabrication maison

• Les 20 principaux réseaux de boulangeries

Avec leur offre promo agressives, leur bonne qualité du pain, leur offre de restauration élargie, leur larges horaires d’ouverture, leur implantation commerciale efficace (en périphérie urbaine, zones commerciales, axes passants), les franchises de boulangeries ont une stratégie intelligente et impactante, même si le marketing et la qualité peuvent être très différents d’une marque à l’autre. Et elles font mal à toute forme de concurrence partout où elles arrivent. La guerre du pain est vive sur certains territoires !

L’avènement des points chauds

La percée de ces nouvelles enseignes sur le marché de la BVP (boulangerie-viennoiserie-pâtisserie) vient surtout rajouter de la confusion à une situation qui n’était déjà pas évidente pour le consommateur. Dans les années 1980 en effet, l’industrie de la panification, alors en pleine croissance, développait un nouveau concept de commerces de proximité : les célèbres « terminaux de cuisson » ou « points chauds » (comme Brioche Dorée, La Croissanterie, La Panetière, La Mie Câline…).

Dans ces organisations franchisées, le pain et la viennoiserie sont produits dans de vastes usines industrielles. Les pâtons sont pré-poussés, éventuellement précuits, puis surgelés et livrés aux différents points de vente du territoire.

En boutique, ils sont décongelés (au fur et à mesure des besoins), placés en fours ventilés (pour une cuisson de finition) et présentés à la clientèle. Avec leurs atouts indéniables (pain chaud à toute heure, diversité et qualité des produits, prix attractif, cuisson à la demande du magasin…), les terminaux de cuisson ont rapidement conquis de belles parts de marché. Avec leur format commercial traditionnel (boutique de centre-ville avec linéaire de pâtisseries et panières à pains), les consommateurs avaient toutefois bien du mal à savoir si les produits étaient industriels ou artisanaux. Aujourd’hui, les points chauds ne cherchent quasiment plus à faire illusion, tant leurs produits sont convaincants pour le public cible (bons et pas chers).

La réaction des marques meunières

Parallèlement au développement des points chauds, de nombreux meuniers leaders sur le marché artisanal se sont organisés en groupements autour d’une marque nationale forte (Banette, Festival des pains, Baguépi, Ronde des pains, Campaillette…), soutenue par une stratégie marketing puissante (spot publicitaire aux heures de grande écoute, sponsoring d’évènements très suivis, concept contemporain de façades et boutiques, services BtoB…) et une légion d’artisans ambassadeurs.

Le succès de ces marques populaires a entraîné une explosion des boulangeries affiliées sur tout le territoire, ce qui a eu pour conséquence directe d’ajouter encore de la confusion. Pourtant, dans une boulangerie affiliée, contrairement à un point chaud, le gérant est bien un artisan qui reste libre et indépendant (la relation avec le meunier correspond à une collaboration technique et marketing plus ou moins resserrée). Alors que les terminaux de cuisson ne distribuent que des produits industriels préfabriqués en usine, les boulangeries de marque meunière, de leur côté, produisent tout sur place (ou presque), ce qui implique la présence d’un artisan boulanger diplômé (qui est souvent le gérant).

Il a fallu attendre 1998 pour que la législation française (loi du 25 mai 1998) vienne clarifier un peu le marché en réservant l’enseigne « boulangerie » ou l’appellation « boulanger » aux professionnels effectuant l’intégralité de la fabrication du pain sur place (pétrissage, fermentation, façonnage, cuisson) sans faire appel à la congélation. Mais les consommateurs font-il toujours bien la différence entre points chauds, boulangeries affiliées et boulangeries sans marque ? Pas sûr. La confusion des genres a d’ailleurs poussé dernièrement les grandes marques meunières (comme Baguépi, Banette ou Campaillette) à s’effacer au profit de la « marque artisan » (dont la notoriété n’a cessé de grandir ces dernières années) afin de ne pas être assimilées aux nouveaux réseaux de boulangerie. Vous suivez ?

Chaînes de boulangeries : rapport bénéfice-prix

La loi du 25 mai 1998 n’a toutefois pas empêché l’industrie de continuer sa percée en tirant la législation à son avantage, par un tour de passe-passe ingénieux et légal, mais pas forcément très éthique. Ainsi sont nées les chaînes de boulangeries comme Ange, Louise, Marie Blachère… qui affichent fièrement la dénomination « boulangerie » (car elles fabriquent le pain sur place), tout en fonctionnant sur un business modèle industriel (mixes prêts à l’emploi, recettes toutes faites, achats centralisés en gros volumes, vente de produits surgelés…).

Les dirigeants de ces boulangeries XXL sont des commerçants-entrepreneurs chevronnés. Ils ont suivi de près l’évolution de la consommation en France. Ils ont compris que les gens sont souvent en déplacement et mangent fréquemment hors de leur domicile, qu’ils ont moins de temps pour manger le midi ou pour courir les petits commerces, qu’ils diminuent leur budget alimentaire et qu’ils veulent toujours « en avoir pour leur argent ». Ils n’hésitent pas à conduire des études de marché et à collecter des infos stratégiques avant de s’implanter : études du trafic routier, de la zone de chalandise, du niveau de vie et des catégories sociales, du taux de chômage…

La force de ces enseignes est qu’elles parviennent à répondre toujours mieux à ce double enjeu, jugé souvent incompatible : la qualité (bonne et très bonne) et le prix (bas et très bas). Pour parvenir à cette équation impossible, elles savent qu’il faut doper le débit des ventes, négocier les achats en jouant sur les volumes, centraliser et automatiser la production autant que possible, multiplier les points de vente et avoir un marketing conquérant.

Avec leur offres sur lot (3 achetés +1 gratuite), elles comptent bien rafler des parts de marché aux points chauds et aux grandes surfaces, qui eux aussi évoluent dangereusement sur le prix et la qualité (voir notre dossier sur les boulangeries XXL). Ce faisant, elles empiètent très franchement sur le territoire dévolu à l’artisanat traditionnel. C’est le nœud du problème.

Hybrides : boulangeries mi artisanales - mi industrielles

Ces fonds de commerce tiennent souvent à garder l’appellation « boulangerie » et proposent d’ailleurs un bon pain de « tradition française ». Ils intègrent à cet effet dans chaque point de vente un véritable fournil (qu’ils placent souvent à la vue des clients) et embauchent de vrais boulangers (qu’ils forment à leurs produits et à leurs méthodes de travail). Ils font donc le choix de fonctionner en mode artisanal pour le pain (et les sandwichs). Mais pour la viennoiserie, la pâtisserie, les tartes, les pizzas et parfois les pains spéciaux, tout est centralisé en un ou plusieurs sites de production à dimension industrielle ou semi-industrielle. La fabrication de pâtisseries et de viennoiseries, parfois revendiquée comme « artisanale », reste totalement opaque pour le consommateur.

Même si le niveau de qualité proposé n’est pas mauvais en soi, il y a quand même une incohérence relativement trompeuse, bien que parfaitement légale et loyale. Le consommateur pense en effet entrer dans une enseigne où tout est fabriqué sur place de manière artisanale, alors que ce n’est pas forcément le cas pour un grand nombre de produits...

De plus, avec la force de leur concept, de nombreuses enseignes parviennent désormais à se passer totalement de la dénomination « boulangerie ». Il faut dire que les clients jugent aujourd’hui sur pièce (le goût, la variété, le sourire, le service) et ne font plus guère confiance aux étiquettes. La notoriété de la « maison X » est parfois supérieure à celle de la « boulangerie Y ». Avec l’explosion de concepts artisanaux et de marques diverses et variées, le résultat est accablant : l’appellation « boulangerie » a perdu de son prestige et de son pouvoir de démarcation.

Comment reconnaître une boulangerie artisanale ?

Redéfinir la boulangerie artisanale : balayer devant sa porte

Il est impératif de redéfinir ce qu’est une véritable « boulangerie artisanale ». Pour prétendre défendre l’artisanat, il faut d’abord approfondir ce qui fait le caractère artisanal d’un produit.

• Est-ce de fabriquer tout sur place par des hommes de l’art avec des ingrédients nobles, des séries limitées, des process essentiellement manuels, sans recours à la surgélation et à l’automatisation ?

Pour les consommateurs, le terme « artisanal » se situe bien là, même si leur perception est relativement déconnectée de la réalité des fournils.

Pour les professionnels du secteur, petits artisans compris, les choses ne sont pas aussi simples car deux variables sont à ajuster : la satisfaction client et la santé de l’entreprise.

Pouvoir jouer sur les deux tableaux sans faire quelques « écarts » est difficile aujourd’hui. Bilan des courses : le taux de pénétration des produits de boulangerie-pâtisserie industriels atteint des sommets en artisanat et le niveau de mécanisation, de surgélation et d’utilisation de solutions facilitantes ne cesse de s’amplifier.

Le constat est implacable : de multiples chaînes sont en fait plus artisanales que de nombreux petits artisans. Le consommateur, lui, est totalement perdu. Comme il n’y a plus grand chose à défendre, ne reste-t-il plus qu’à regarder le train passer ?

Revenir à une fabrication maison : une question de taille

Avançons encore. Car il y a l’approche qualité, subjective et ambiguë comme nous venons de le voir, mais il y a aussi le point de vue du modèle d’entreprise, plus objectif.

Quand on lit la définition juridique du mot « artisanat » donnée par l’Insee (2), on se rend compte que ces chaînes de boulangeries sont très loin du modèle type : une TPE aux mains d’un artisan (diplômé et immatriculé). Elles rentreraient plutôt dans un cadre de PME aux commandes de dirigeants souvent issus du monde du commerce.

La situation est en fait très hétéroclite : on ne peut pas toutes les mettre dans le même sac ! Les codes NAF (nomenclature des activités françaises) et les conventions collectives de rattachement montrent une activité polymorphe, à cheval entre les métiers de la BP industrielle (10.71A), de la BP artisanale (10.71C), du commerce de détail et de la gestion financière.

Il y a :

- les « locales » à 4 ou 5 magasins

- les « régionales » à 10 ou 20 boutiques

- les « nationales » qui peuvent atteindre un nombre considérable d’unités (voir plus bas le classement).

Certaines fonctionnent en franchises, d’autres en sociétés à succursales, d’autres enfin en holdings (dont les montages juridiques sont parfois très opaques…). La production n’est pas moins diversifiée et loyale avec l’emploi fréquent de farines haut de gamme (bio, CRC, Label Rouge), de levain naturel, de fermentations lentes, de cuissons en fours à sole, de façonnages manuels… Ni véritablement artisanales, ni complètement industrielles, les chaînes de boulangerie font partie d’un nouveau modèle économique.

B.A.BA du darwinisme

L’artisan traditionnel ronge son frein car la législation, qui avait permis de le défendre à la fin des années 90 face à la puissante industrie, n’interdit pas l’exploitation de l’appellation « boulangerie » par ces PME. Du coup, de nombreux boulangers-pâtissiers assistent impuissants à la percée de cet artisanat-industrie sans savoir comment réagir. Certains, à la fibre entrepreneuriale, se lancent dans des affaires XXL et même dans des mini réseaux de boulangeries 100% artisanales qui font trembler ces chaînes localement.

De nombreuses questions légitimes se posent toutefois à la profession. Et le débat est loin d’être simple car l’Artisanat doit à la fois évoluer avec son temps (la société et le marché) et revendiquer ses spécificités et ses valeurs au nom de son histoire et de la transparence due aux consommateurs. L’enseigne « B » proposée par l’interprofession aux artisans boulangers (ouverte aux sociétés qui justifient du code NAF 10.71C et qui respectent la loi du 25 mai 1998) n’a pas réellement répondu aux problèmes de fond et n’a pas pris toute la mesure de l’enjeu concurrentiel.

La nouvelle marque « Boulanger de France » (qui inclut une exigence de fabrication maison élargie à la viennoiserie, pâtisserie boulangère et restauration boulangère) est désormais bien plus convaincante.

Le message est-il cependant clair pour le consommateur ? Faut-il aller plus loin et redonner l’appellation « boulangerie » aux seuls boulangers-artisans évoluant en TPE (sans autres sociétés cachées) et s’emparer au passage des appellations « pâtisserie » et « viennoiserie » qui lui ont totalement échappé ?

Ou bien doit-on accepter que l’artisanat puisse aussi aller vers un régime de PME semi-industrielle pour gagner en puissance ?

Les boulangers-entrepreneurs sont à coup sûr une force pour l’avenir du collectif. Faut-il les contraindre à évoluer dans un modèle réduit de société ? La boulangerie-pâtisserie artisanale est en train de vivre une mutation historique. Aidons-là à muer sans trop de rigidité et donnons-lui les bonnes armes pour s’adapter.

Article web connexe : Comment reconnaître une boulangerie artisanale ?

Les 20 principaux réseaux de boulangeries en France

Les principales franchises de boulangeries (BF) et de terminaux de cuisson (TC) avec leur nombre approximatif de points de vente en France. Par ordre décroissant de chiffre d’affaires 2020 (source : Panorama BRA 2021, Avril 2022).

● Marie Blachère (BF), 555 points de vente (477 M€)

● Paul (BF+TC), 400 points de vente (287 M€)

● Ange (BF), 170 points de vente (187 M€)

● Brioche Dorée (TC), 290 points de vente (165 M€)

● La Mie Câline (TC), 240 points de vente (149 M€)

● Louise (BF), 130 points de vente (85 M€)

● La Panetière - Secrets de pain (TC), 220 points de vente (77 M€)

● Maison Kayser (BF+TC), 50 points de vente (69 M€)

● Jules & John (BF), 100 points de vente (63 M€)

● La Croissanterie (TC), 230 points de vente (60 M€)

● Patàpain (TC), 50 points de vente (50 M€)

● Feuillette (BF), 35 points de vente (49 M€)

● Poulaillon (BF), 60 points de vente (41 M€)

● La Mie de pain (BF), 45 points de vente (39 M€)

● La Panière (TC), 45 points de vente (36 M€)

● Le Grenier à pain (BF), 30 points de vente (18 M€)

● Sophie Lebreuilly (BF), 20 points de vente (16 M€)

● Moulin du Païou (BF), 25 points de vente (14 M€)

● Boréa (BF), 10 points de vente (13 M€)

● Firmin (BF), 45 points de vente (12 M€)

par Armand Tandeau (mise à jour le 21 juin 2022) publié le 7 janvier 2013

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