Dossiers
Un fort niveau de production agricole est compatible avec la vie du sol, à condition de limiter les effets négatifs des pratiques.
Un fort niveau de production agricole est compatible avec la vie du sol, à condition de limiter les effets négatifs des pratiques. © A. DUFUMIER

Promesses et prouesses des blés sur sols vivants (2/3)

Le recours au vivant dans les sols pour la culture du blé est une piste sérieuse pour répondre à des problématiques majeures de nos sociétés modernes.

Stockage du carbone, nutrition des plantes, biodiversité, rétention de l’eau, lutte contre l’érosion, les inondations ou le réchauffement climatique… La vie des sols revient au centre des préoccupations des agriculteurs, et de la société en général. C’est elle qui entretient la fertilité en assurant la transformation des minéraux et la structure du sol. Elle qui protège, parfois directement, les cultures contre certains agresseurs. En outre, plusieurs indices suggèrent que la qualité des récoltes sur sols vivants est meilleure, notamment du point de vue de la qualité de la protéine produite et de celui de la santé humaine. ​​​​​​

Lire : Francis Bucaille, agronome : « Les sols influent sur la qualité boulangère » (3/3)

Les sols vivants sont une solution pour décompacter la terre, gagner en porosité et en réserve en eau. (© A. DUFUMIER)

Un potentiel formidable

Le champ des possibles pour construire une agriculture valorisant les sols vivants est extrêmement vaste, et en matière de recherche et d’applications, tout ou presque reste à construire. La métagénomique, qui s’appuie sur des outils modernes d’analyse de l’ADN environnemental (l’ADN libre présent dans l’environnement) nous révèle que seul 1 % de la diversité totale des micro-organismes du sol est connu.

Ce n’est pas pour rien que les antibiotiques y ont été découverts et que trois formes commercialisées sur quatre en sont issues, selon les estimations du microbiologiste professeur au Muséum d’histoire naturelle de Paris, Marc-André Selosse. Car ils regorgent de bactéries, et de champignons devant s’en défendre.

Les antibiotiques ne sont qu’un exemple parmi une infinité de fonctionnalités biochimiques des sols. À quoi il faut ajouter les fonctionnalités physiques du vivant par la création de porosités, de structuration, et de bioturbation assurant un brassage vertical de la matière.

Le sol vivant est donc une solution pour les nombreux agriculteurs céréaliers qui déplorent une compaction de leurs terres. Malheureusement, celui-ci n’est pas encore un réflexe pour les agriculteurs, les conseillers et les chercheurs faisant face à ces problématiques. Pourtant, « les sols abritent environ un kilo d’êtres vivants au mètre carré, soit dix tonnes par hectare réparties entre trois tonnes et demi de champignons, trois à six tonnes de racines, une tonne et demi de bactéries et une tonne et demi d’animaux. Cela compte pour 50 à 75 % de la biomasse terrestre », détaille Marc-André Selosse. Tous ces organismes peuvent avantageusement être associés à la pratique agricole, et assurer des services.

La métagénomique nous révèle que seul 1 % de la diversité totale des micro-organismes du sols est connue. (© A. DUFUMIER)

Le sol gardien des écosystèmes

Les sols occupent une place centrale et transversale dans les neuf grandes limites planétaires* faisant l’objet d’un vaste consensus scientifique pour définir le périmètre de l’habitabilité sur terre. Ils sont en effet de véritables gardiens des écosystèmes. Ils se trouvent au cœur des cycles géobiochimiques de l’azote et du phosphore, sont le support de la biodiversité… Avec l’initiative des “quatre pour mille” issue de la COP 21**, il a été reconnu que les sols agricoles seraient aptes, par exemple, à effacer les émissions des gaz à effet de serre des activités humaines en leur redonnant leur capacité à stocker du carbone.

Par ailleurs, les sols en bonne santé, capables de stocker du carbone sous la forme d’humus, voient leur fertilité s’accroître. Des sols à la biologie active jouent également un rôle de filtre de l’eau et améliorent la qualité de l’air en retenant le CO2 et en séquestrant mieux l’azote minéral, ce qui évite le relargage dans l’atmosphère de particules d’oxydes d’azote à fort pouvoir d’effet de serre. L’alimentation de la plante en azote ne peut en être que meilleure, et laisse espérer des réductions possibles en termes d’apports d’engrais de synthèse.

« Les sols vivants sont des châteaux d’eau naturels qui régulent l’approvisionnement de la végétation mais aussi des nappes et des rivières » , souligne Marc-André Selosse dans son livre L’Origine du monde***. Il prend pour exemple ceux des páramos**** en montagne en Amérique latine, capables de retenir trois fois leur poids en eau, assurant un débit régulier des rivières.

Un fort niveau de production agricole est compatible avec la vie du sol à condition de limiter les effets négatifs des pratiques. (© A. DUFUMIER)

Des écosystèmes fatigués

Pourtant, de plus en plus, les sols ont du mal à jouer cette partition vertueuse. Et plus nous avons besoin d’eux moins ils se montrent capables de jouer leur rôle. L’hiver, ce sont ceux qui n’absorbent plus l’eau et accentuent ainsi les problématiques d’inondation dans certaines régions. L’été, ce sont ceux qui semblent fatigués peinant à redistribuer l’eau aux plantes. Et les rendements du blé ont tendance à stagner, avec des agriculteurs ayant des difficultés croissantes à gérer les mauvaises herbes, les maladies, et autres ravageurs.

La nutrition des plantes est également parfois vécue comme se complexifiant toujours davantage, du fait du blocage de certains éléments minéraux ou de problématique de lessivage, avec une terre qui ne retient plus aussi bien ses éléments basiques (calcium, magnésium, potassium etc.). Sans compter les phénomènes de compaction ou d’érosion, auxquels s’ajoutent les excès du dérèglement climatique.

Selon Francis Bucaille, ancien agriculteur et auteur de Revitaliser les sols*****, il ne fait pas de doute que l’agriculture doit changer de carte mentale. L’agronomie a globalement fait pendant quatre-vingts ans comme si les sols n’étaient qu’un support pour les plantes. C’est cette ignorance de leur vie qui a conduit à des impasses. Pourtant « les sols ne sont pas morts », insiste l’auteur avec optimisme.

D’après lui, la solution est d’intégrer le sol vivant comme objectif principal de l’agriculture, dont le rendement est une résultante. Ce qui est facile à dire est en revanche compliqué à construire. « Il y a une véritable révolution copernicienne à opérer pour comprendre que le centre du système n’est pas ce qui est le plus visible : la partie aérienne de la plante et son rendement, mais plutôt le sol et les racines. L’agriculteur a tout un chemin à faire, qui peut prendre quelques années, par lequel il doit prendre confiance dans de nouvelles pratiques ainsi que dans une nouvelle façon d’envisager ses techniques et les moyens pour y arriver. »

Les champignons, champions de la fertilité des sols

Parmi les pistes citées pour restaurer la santé des sols, les agriculteurs sont incités à adopter plusieurs pratiques. Il s’agit notamment de limiter les sources de perturbation, comme le travail du sol et l’utilisation des produits phytosanitaires — à commencer par les fongicides. Il s’agit également de donner sa chance à la vie, et notamment aux champignons.

En effet, toutes les formes de vie des sols ne se valent pas pour en restaurer la fertilité. En la matière, les champignons sont les champions car ils construisent un humus stable. Pour les favoriser, il est conseillé d’apporter une ration aux terres constituée des matières organiques laissées sur place, comme les pailles.

Les apports de fumiers ou de composts sont également des sources d’amendements à privilégier. Dans le livre La dynamique du sol, (Dunod 1932), l’agronome français Albert Demolon montre ainsi comment ceux en fumier protègent les cultures de la maladie du blé nommée le piétin échaudage. Aujourd’hui, l’on sait que c’est lié à l’apport d’une bactérie qui améliore la nutrition de la plante.

Cinquante ans plus tard, l’agronome de l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement Francis Chaboussou a documenté des centaines d’exemples où les sols et la vie qu’ils contiennent apportent des résistances aux ravageurs des cultures. Ces “résistances des sols” ont tendance à sauter à cause d’excès de chimie de synthèse (lire à ce propos ses ouvrages Santé des cultures et Les plantes malades des pesticides)******.

Après la moisson du blé en été, il est conseillé de protéger le sol des excès climatiques de l'été. (© A. DUFUMIER)

Imiter la nature

Pour retrouver le chemin des sols vivants, il semble aussi important de veiller à synchroniser les pratiques culturales avec les sols et de compenser les décalages à cause desquels ils ne peuvent pas fonctionner dans leur sens “naturel”.

Il s’agit d’imiter ce que fait la nature, d’apporter la matière organique à l’automne, par exemple. En revanche, le fait de récolter le blé en juillet impose un décalage aux sols. En été, ceux moissonnés sont exposés aux fortes chaleurs, et donc au dessèchement et au dépérissement de leurs micro-organismes. En laissant les pailles sur place, une partie des dégâts peut être évitée. En outre, le semis d’une couverture végétative active limite ces problématiques.

Une autre forme de compensation peut consister à leur apporter des biostimulants. Il s’agit de produits formulés pour stimuler le développement de cette flore qui a souffert durant l’été. Le choix de cultures actives estivales, comme le maïs, le tournesol, la betterave, est également sans doute à reconsidérer positivement.

La bonne nouvelle pour les agriculteurs est que les rendements élevés ne sont pas obligatoirement synonymes de dégradation des sols. Cela pourrait même être le contraire. Les écosystèmes naturels ont souvent de très bons niveaux de production en biomasse.

Par ailleurs, une végétation très performante et active est davantage en mesure de nourrir le sol en retour par ses sécrétions et par la production en masse de résidus organiques, comme les pailles. Avec des rendements élevés il est donc possible aussi de stocker plus de matière organique dans les sols, à condition que la vie — et notamment les champignons qui construisent l’humus — puisse faire son travail.

Lire le reste du dossier :

- Une nouvelle agriculture prend racine (1/3)

- Francis Bucaille, agronome : « Les sols influent sur la qualité boulangère » (3/3)

* Les neuf limites planétaires sont : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, le changement d’usage des sols, le cycle de l’eau douce, l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère, l’acidification des océans, l’appauvrissement de la couche d’ozone, l’augmentation de la présence d’aérosols dans l’atmosphère. En septembre 2023, seules les trois dernières limites n’avaient pas été franchies. (Source : www.notre-environnement.gouv.fr).

** Elle vise à augmenter le stockage annuel de carbone des sols de 0,4 % à l'échelle globale.

*** L’origine du monde — Une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent, aux éditions Actes Sud (2021).

**** De l’espagnol páramo : plateau, lande, écosystème de haute altitude, qu’on trouve dans la cordillère des Andes, entre la limite des forêts et celle des neiges éternelles.

***** Francis Bucaille, ancien agriculteur et auteur de Revitaliser les sols

****** Santé des cultures et Les plantes malades des pesticides de Francis Chaboussou

À lire également
Avec plusieurs grilles, il est très facile de diversifier son offre de pains.

Dossiers

Diviseuses-formeuses : vers toujours mieux

À l’origine, les formeuses ont été développées pour assurer une production de baguettes chaudes à la demande tout en allégeant la mécanisation et les temps de repos. Séduits par le gain de temps apporté,...

Dossiers

Diviseuses-formeuses : de l’hyper-spécialisation à l’ultra-polyvalence

Lancée sur le marché avec une méthode de pointage retardé relativement codifiée et un ensemble d’équipements bien spécifiques, la formeuse s’est émancipée de ce carcan technique pour s’ouvrir à toutes...

En mode formage et division par grille, la Paniform divise jusqu’à 5 kg de pâte.

Dossiers

Diviseuses-formeuses : la Paniform de Jac

Cette diviseuse-formeuse automatique est une référence haut de gamme chez Jac, parfaitement adaptée à une production artisanale contemporaine. Bardée de technologies, elle concilie performance, polyvalence...