Quels sont les facteurs qui participent à fixer le prix du blé ? La question revient régulièrement, lorsque la volatilité des cours se fait plus intense. Des épisodes qui suscitent un niveau d’incertitude parfois jugé inacceptable, alors même que le blé est une denrée tellement essentielle dans le régime alimentaire de nombreuses populations.
« Pour bien comprendre les raisons de ces variations, la première chose à appréhender est que le marché du blé est mondialisé, insiste Gautier Le Molgat, président-directeur général (PDG) d’Argus Media France (dont fait partie Agritel), société de conseil leader en gestion du risque de prix des matières premières. En tant que grand pays exportateur, la France est par ailleurs directement connectée aux marchés mondiaux. Cependant, notre pays a très peu d’impact à lui seul sur les cours du blé, y compris sur les prix de son marché intérieur. Ainsi, malgré une récolte 2024 catastrophique en France — la plus mauvaise depuis quarante ans —, les prix du blé n’y ont pas fortement augmenté. Car des équilibres ont été possibles à plus grande échelle. »
Voilà donc au moins un cas où la globalisation a joué le rôle de filet de sécurité et atténué un défaut de production.
Des échanges intenses sur le marché du blé
Aujourd’hui, 30 % de la production de blé dans le monde est échangée* sur les marchés mondiaux et cette part ne fait que s’accroître ces dernières décennies. Ces échanges sont extrêmement importants : ils assurent l’équilibre dans chaque région du monde entre l’offre et la demande, et fixent les prix au niveau international. En France, celui de référence est ainsi le prix du blé négocié au port de Rouen, qui est le premier port français d’exportation de céréales.
Le fait que le prix du blé se construit à l’international signifie également qu’il est très sensible à des facteurs non maîtrisés, comme l’actualité géopolitique des pays importateurs ou exportateurs. « Tout ce qui peut perturber un aspect de l’offre, de la demande mondiale, ou des stocks vient perturber l’équilibre global et donc susciter la mise en place d’un nouveau prix », résume le PDG d’Argus Media France.
À certaines périodes, les cours du blé sont jugés volatils. Le prix d’équilibre est remis en question et le marché devient hypersensible à chaque information. En quelques jours, les cours peuvent gagner ou perdre jusqu’à 20 % de leur valeur. « Cette volatilité s’est installée depuis vingt ans. Elle n’est pas spécifique au blé et concerne d’autres matières premières, y compris non alimentaires, comme le pétrole ou l’acier », met en avant Gautier Le Molgat.
La volatilité traduit le fait que la demande est très peu sensible au prix pour une denrée aussi nécessaire que le blé. La loi économique de King-Davenant (fin XVIIe), s’est ainsi plusieurs fois vérifiée : de faibles variations dans la disponibilité de l’offre ont des conséquences de grande ampleur sur les prix. Dans ce contexte, les acteurs du marché sont très attentifs à tous les éléments météorologiques qui pourraient impacter l’offre future à des périodes clés de constitution du rendement dans les grands pays exportateurs. C’est ce que l’on appelle le weather market, “marché de la météo”, en français.
Guidant les marchés, les coûts de production, comme les engrais ou le carburant, sont aussi très surveillés. « Dans un pays comme la France où une part importante du blé part traditionnellement en alimentation animale, les vases communicants entre les marchés du blé meunier et ceux de l’alimentation animale, comme le maïs, sont assez forts », complète Gautier Le Molgat. Ainsi, les cours du blé ne peuvent pas être totalement déconnectés de ceux du maïs, et inversement.
Des facteurs externes
Certains facteurs extérieurs peuvent jouer de façon indirecte sur l’équilibre du marché des grains, et donc sur les prix. « Le facteur le plus important est celui des devises, constate Gautier Le Molgat. Un euro fort donne du pouvoir d’achat pour importer des céréales. Un euro plus faible rend les marchandises européennes plus attractives. Tout cela fait également fluctuer le prix du blé. Un autre facteur essentiel est celui des prix ainsi que de la disponibilité du fret maritime, indispensable pour équilibrer l’offre et la demande sur les marchés mondiaux. Un manque de fret ou le risque d’un fret trop important — pour différenteségalement raisons — peuvent renchérir les coûts des assurances et les frais logistiques, amenant aussi beaucoup de nervosité dans l’établissement du prix du blé. En revanche, contrairement à ce qui est souvent exposé, les spéculateurs et autres investisseurs financiers ne sont pas les principaux responsables de la hausse de la volatilité et des cours des matières premières, ajoute le PDG d’Argus Media France. C’est tout le contraire, car ils ont tendance à tirer parti des anomalies du marché et, ce faisant, à rétablir un équilibre. »
Du blé à la farine
« En bout de chaîne, le prix du blé et le prix de la farine dépend également de toute la valeur créée par le meunier, expose Gautier Le Molgat. Il y a un vrai savoir-faire dans les métiers du grain, et aussi dans les filières [Culture Raisonnée Contrôlée, Sans insecticides de stockage, etc., NDLR] pour respecter des cahiers des charges et certaines normes sociales et environnementales, avec un coût additionnel par rapport au marché mondial. »
La possibilité pour le meunier d’avoir un rendement en farine le meilleur possible et de valoriser des coproduits contribue à la performance globale, et donc à la compétitivité du prix de la farine. Cela dépend de la qualité des récoltes de l’année et des marchés du son.
« La farine n’est finalement que l’une des composantes du coût pour un boulanger. Il y a aussi le beurre, la main-d’œuvre et l’énergie. Le blé et la farine ne doivent donc pas être les seuls sujets d’intérêt pour optimiser ses coûts. Une bonne gestion passe avant tout par l’anticipation et la fixation d’un prix, insiste le directeur général d’Argus Media France. Tous les outils existent pour construire des partenariats dans la durée, afin de fixer des prix à l'échelle d’un an, voire plus. »
* Solagro. Note d’information. Le blé, limiter la dépendance aux importations. Avril 2022. https://solagro.org/medias/publications/f118_2022_04_note_ble_solagro.pdf