Dossiers
Au sein de ses boulangeries Mitron Bakery comme dans ses cuisines, le chef Mauro Colagreco prône traçabilité, transparence et durabilité, avec des farines fraîches, moulues sur meules de pierre Astrié.
Au sein de ses boulangeries Mitron Bakery comme dans ses cuisines, le chef Mauro Colagreco prône traçabilité, transparence et durabilité, avec des farines fraîches, moulues sur meules de pierre Astrié. © Matteo Carassale

Ces chefs qui invitent l’art boulanger en cuisine (1/3)

Cuisiniers et boulangers travaillent désormais main dans la main au service d’un pain plus sain, plus qualitatif et plus durable, servi à table et parfois vendu dans une boutique conçue dans le prolongement du restaurant. L’artisanat y gagne en créativité ; la gastronomie, en accessibilité.

Mauro Colagreco à Menton dans les Alpes-Maritimes, Olivier Nasti à Kaysersberg en Alsace, Alexandre Couillon sur l’île de Noirmoutier en Vendée… On ne compte plus les chefs ouvrant des boulangeries ayant pignon sur rue. Une tendance qui témoigne autant d’une volonté de diversifier son modèle économique — avec une offre accessible à un plus large public — que d’un regain d’intérêt pour le pain : « Un produit noble, pilier de la cuisine », affirme Guy Martin, chef du Grand Véfour à Paris (1er) et ambassadeur Episens. « Il est ce que nous avons de plus précieux dans notre alimentation », abonde le chef Mauro Colagreco, qui sert un « pain de partage » accompagné d’une huile infusée en prélude à ses dîners.

En restauration, les (grands) pains spéciaux détrônent peu à peu les petits pains prépoussés — voire précuits — surgelés, pratiques mais plus standardisés. « La crise sanitaire nous a fait passer de pièces individuelles, très travaillées et esthétiques, à de plus grosses pièces avec du goût, de la croûte et de la mie, pour pouvoir saucer les plats », explique le Meilleur ouvrier de France (MOF) boulanger 2023 Alexandre Laumain, aujourd’hui formateur après sept ans passés à la Maison Lameloise (restaurant trois étoiles situé à Chagny, en Saône-et-Loire) en tant que chef boulanger.

Comme bon nombre de chefs, Julien Allano travaille ses accords mets et pains (maison). (© @Florian Domergue)

Cette évolution n’est pas sans rappeler des souvenirs d’enfance aux chefs. Guy Martin n’a pas oublié les « grosses pièces denses cuites au four communal, avec une croûte épaisse, magnifique ». À huit ans, Alexandre Couillon goûtait « d’une belle tranche de pain, avec un carré de chocolat ». Sur le site internet de ses boulangeries, Thierry Marx confie être resté « de longs moments collé à la vitre de la boulangerie de [son] quartier de Ménilmontant [Paris 20e], à humer les parfums du pain en train de cuire ». En ouvrant sa première boulangerie en 2016 à Paris, il réalise un rêve. Un projet lancé avec le MOF boulanger Joël Defives, qui confirmait, lors du dernier salon Sandwich & Snack Show en mars, « la synergie et la complémentarité existant entre cuisiniers et artisans ».

En collaboration avec des boulangers expérimentés

De fait, les chefs qui s’aventurent dans la panification le font souvent en partenariat avec des boulangers chevronnés. Installé en Vendée, Alexandre Couillon a peaufiné son apprentissage avec le regretté Thierry Delabre. Son but : réussir à produire « des pains vivants » pour ses restaurants, sa table d’hôte et, depuis 2021, son épicerie-comptoir boulanger alias Le Petit Couillon. À la barre du restaurant-­hôtel-fournil La Butte à Plouider (Finistère), Nicolas Conraux s’est initié au travail des farines et de la fermentation auprès de Michel Izard, fameux boulanger breton (et ancien cuisinier), connu pour son “pain des Abers” aux farines biologiques et levain naturel.

Ces collaborations participent à une montée en gamme du pain en restauration… et en boutique. Quand il a repris le fournil de son village en 2019, Nicolas Conraux a ainsi fait disparaître la baguette blanche au profit d’une Tradition bien cuite. « Nous sommes forces de proposition par rapport à nos clients », pointe le chef, qui profite de sa notoriété pour faire acte de pédagogie, auprès de la population locale comme des touristes de passage. Dans une même logique, L’Oustau de Baumanière, en Provence (Alpes-de-Haute-Provence), dispense des cours de boulangerie ; quand Nadia Sammut, cheffe experte en panification sans gluten, transmet son savoir-faire lors de stages et d’ateliers.

Recyclage de rigueur

À La Butte, le repas s’ouvre sur une courte baguette tradition arrondie, façonnée en épis et servie avec une collection de beurres maison. « Le pain est le premier aliment que nous offrons à nos clients en guise de marque d’accueil », relève Nicolas Conraux. Ce Breton d’adoption filtre son eau et source ses farines au plus proche, tout comme Alexandre Couillon, qui panifie « des blés de population avec des fermentations au levain de vingt-quatre, quarante-huit, voire soixante-douze heures ».

A Kaysersberg, le chef du Chambard Olivier Nasti a ouvert une boulangerie, Levain, proposant une gamme d’une dizaine de pains au levain. (© Ilya Kagan)

À Kaysersberg, dans le Haut-Rhin, le chef du Chambard (deux étoiles) Olivier Nasti a baptisé sa boulangerie Levain, contribuant à populariser l’usage de ce ferment naturel. En 2023, il indiquait à La Toque : « L’objectif est de raisonner en termes de sourcing. C’est vrai pour un restaurant ; c’est encore plus vrai pour la fabrication de pains. Connaître l’origine des matières premières, maîtriser toute la chaîne, savoir renseigner les clients sur toutes ces étapes, c’est essentiel. Les gens sont vraiment en demande de tout ça. Ils sont d’ailleurs de plus en plus affûtés, en alerte devant ce qu’ils consomment. »

Mitron Bakery, la boulangerie de Mauro Colagreco à Menton, Nice et Monaco, revendique son usage de levain et de farines de blés anciens certifiées biologiques et 100 % naturelles, pour des pains « vivifiants, durables, et surtout expressifs et gourmands », alliant « les nuances de texture, de couleur et de goût ». Un argumentaire qui peut inspirer les artisans, et justifier des prix de vente plus élevés, pour des pains souvent vendus au poids.

À la tête du Moulin de Champcors, à Bruz (Ille-et-Vilaine), Emmanuel Pivan fournit des boulangers-­pâtissiers, des biscuitiers et de plus en plus de restaurateurs, dont les chefs des tables étoilées Racines et IMA à Rennes. « Leur première exigence est l’ultraproximité », confirme ce chantre des circuits courts, qui souhaite « faire entrer la farine, au même titre que n’importe quel autre produit — de maraîchage par exemple —, dans les garde-mangers des restaurants ».

Après des années de gaspillage du pain en cuisine, le recyclage est de rigueur, comme à l’Oustau de Baumanière, où le chef Glenn Viel panifie le pain (maison) de la veille. Mise en avant (via notamment les étoiles vertes du guide Michelin, saluant un fort engagement écoresponsable), cette quête de naturalité et de proximité infuse la boulangerie artisanale et dépasse aujourd’hui les farines pour gagner l’ensemble des matières premières (crèmerie, fruits, etc.), de saison bien sûr.

Valorisation des terroirs

Ce retour à un savoir-faire ancestral ne se fait pas au détriment de la créativité, source d’inspiration pour les artisans. Alexandre Laumain a, par exemple, créé des pains feuilletés pour la Maison Lameloise. « En restauration, le pain doit accompagner le plat sans prendre le dessus, remarque-t-il. Mais on y bénéficie d’une plus grande liberté, les clients étant davantage ouverts à la découverte qu’en boutique, où l’on vient souvent chercher un produit en particulier. » Un constat qui n’exclut pas l’innovation en boulangerie, prisée par une partie de la clientèle, biberonnée aux émissions culinaires comme Top Chef.

Féru de fermentation et de végétalisation, Nicolas Conraux expérimente ainsi de nombreuses recettes avec son équipe de boulangers, que l’on retrouve de sa table étoilée au comptoir de sa boulangerie en passant par le buffet du petit déjeuner. Comme ce pain aux farines de sarrasin et de riz complet à la bière de Plouider et levain de sarrasin, parmi les plus singuliers d’une gamme par ailleurs plus classique (seigle, tradition, campagne, etc.) mais non dénuée de caractère (cuisson poussée, longue fermentation, etc.).

Dans un esprit de valorisation des terroirs, les produits identitaires et signatures ont la cote : kougelhopf chez Olivier Nasti en Alsace, kouign-amann revisité au Fournil de La Butte en Bretagne, fougasses à Menton, etc. Alexandre Laumain se souvient avoir développé un pain au judru, un saucisson à base de viande de porc macérée dans du marc de Bourgogne. « J’ai énormément appris sur le côté gustatif en travaillant avec des produits frais, des épices, des vinaigres ; l’apport d’acidité étant fondamental en cuisine comme le travail sur les textures, pour offrir différentes sensations en bouche », analyse le MOF boulanger, qui a également progressé en matière de rigueur et d’hygiène au contact de la brigade de la Maison Lameloise.

Promus en restauration, les accords mets et pains se développent en boutique, avec des suggestions de dégustation pour une expérience sensorielle optimisée. Certaines boulangeries des chefs intègrent d’ailleurs un rayon épicerie, avec une sélection de produits maison et/ou de producteurs voisins : une vitrine pour une offre culinaire qualitative, saine et responsable.

Lire le reste du dossier :

- « Il me semble que le pain est de mieux en mieux considéré »

- Artisans et restaurants : une émulsion à ne pas rater

À lire également
Avec plusieurs grilles, il est très facile de diversifier son offre de pains.

Dossiers

Diviseuses-formeuses : vers toujours mieux

À l’origine, les formeuses ont été développées pour assurer une production de baguettes chaudes à la demande tout en allégeant la mécanisation et les temps de repos. Séduits par le gain de temps apporté,...

Dossiers

Diviseuses-formeuses : de l’hyper-spécialisation à l’ultra-polyvalence

Lancée sur le marché avec une méthode de pointage retardé relativement codifiée et un ensemble d’équipements bien spécifiques, la formeuse s’est émancipée de ce carcan technique pour s’ouvrir à toutes...

En mode formage et division par grille, la Paniform divise jusqu’à 5 kg de pâte.

Dossiers

Diviseuses-formeuses : la Paniform de Jac

Cette diviseuse-formeuse automatique est une référence haut de gamme chez Jac, parfaitement adaptée à une production artisanale contemporaine. Bardée de technologies, elle concilie performance, polyvalence...