Meunerie
Produire ficelles, baguettes et pâtes feuilletées levées, nécessite une certaine qualité d’extensibilité de la pâte, conférée par la génétique du blé.
Produire ficelles, baguettes et pâtes feuilletées levées, nécessite une certaine qualité d’extensibilité de la pâte, conférée par la génétique du blé. © A. DUFUMIER

Sélection variétale : épandre la qualité d’extensibilité

La boulange française a besoin de variétés de blé avec une ténacité modérée pour produire baguettes et pâtes feuilletées. Une qualité qui est en partie à reconquérir dans les champs français.

Et si le rétrécissement supposé de la taille des baguettes ne devait rien à l’inflation mais tout à la génétique du blé ? Plaisanterie mise à part, c’est ce que pourrait donner à penser l’analyse des variétés de blé les plus cultivées en France.

Depuis une quinzaine d’années, les blés de l’Hexagone ont en effet perdu une partie de leur propension à produire des pâtes à ténacité modérée. « La part des variétés françaises de blé extensible a très nettement diminué dans la sole française, confirme Adeline Streiff, ingénieure R&D caractérisation de la récolte et des variétés de céréales d’Arvalis, l’Institut technique agricole grandes cultures. Or, la panification française a besoin de blés ayant des caractéristiques d’extensibilité pour produire la baguette de tradition française ou de la pâte feuilletée. Aujourd’hui, les variétés ayant ce profil rhéologique sont moins présentes dans le top 10 de celles les plus cultivées en France. Les deux qui y figurent — Celebrity et Intensity — totalisaient seulement huit pour cent des surfaces françaises en blé lors de la récolte 2025. »

Selon l’ingénieure, entre 2000 et 2015, les meuniers français avaient accès à plus de lots de blé typés extensibles. Elle évoque notamment Apache, qui a été pendant dix ans la première variété cultivée en France et a totalisé à elle seule jusqu’à 25 % des surfaces de blé.

La pression de l’inscription variétale

Comment en est-on arrivé à perdre une partie de cette qualité d’extensibilité ? Pour Adeline Streiff, « ce sont les modalités d’inscription des variétés françaises au catalogue officiel qui ont eu tendance à être défavorables à celles extensibles. En effet, ces dernières montrent des niveaux de qualité plus irréguliers en tests de panification d’une année sur l’autre, ce qui a souvent pu les mettre hors jeu. La difficulté ne vient donc pas tant de la sélection variétale en elle-même : l’inscription de variétés aux qualités extensibles continue à être proposée. La difficulté est surtout que ces dernières sont involontairement pénalisées par l’étape de l’inscription, car le poids de la qualité en panification d’un blé est très fort dans le système français d’évaluation ».

Une note dédiée

Le sujet est donc assez ancien et les acteurs de la filière ont déjà en partie réagi. « Depuis quelques années, nous sensibilisons les sélectionneurs à ce sujet et nous avons adopté une mention particulière sur ce point dans notre liste des blés meuniers : les blés extensibles », nous expliquait déjà en 2022 l’Association nationale de la meunerie française (ANMF) (lire La Toque n° 338).

De fait, depuis 2020, le critère EXT (extensible) a fait son apparition dans la liste officielle des variétés préférées des meuniers (BPRM, pour blé panifiable recommandé par la meunerie ; et VRM, variétés recommandées par la meunerie) éditée chaque année par l’ANMF. « Ce travail porte déjà ses premiers fruits, appuie Adeline Streiff. C’est en partie grâce à l’arrivée du critère EXT et à une prise de conscience de l’ensemble de la filière que nous avons pu retrouver deux variétés extensibles dans le top 10 des variétés les plus cultivées en France. »

Un gène de l’extensibilité idéntifié

Les gènes du blé impliqués dans l’extensibilité de la pâte semblent déjà bien connus. Ils sont impliqués dans la production des protéines constitutives du gluten. L’expression du gène GluD1, notamment, est déterminante. La version 10 de celui-ci code pour des “glutens lourds” (HMW-GS, pour high molecular weight glutenin subunits, “sous-unités de gluténines de haut poids moléculaire” en français) et produit des pâtes de grande ténacité, avec une force boulangère importante. Les modalités françaises d’évaluation des aptitudes boulangères des blés ont ainsi eu tendance à privilégier l’inscription des génétiques porteuses de cette version 10 du gène.

En revanche, la version 12 code pour la production de glutens légers (LMW-GS pour low molecular weight glutenin subunits, “sous-unités de glutenines de faible poids moleculaire” en français). Les blés exprimant cette version du gène GluD1 produisent des pâtes plus extensibles mais avec une note de qualité boulangère globale beaucoup plus aléatoire, sans doute du fait du manque de force associé à cette qualité. Le système français d’inscription a donc souvent eu tendance à déclasser involontairement les blés extensibles et à privilégier la ténacité.

Nourrir tous les débouchés

Pains, pains de mie, viennoiseries, brioches, biscuits, baguettes… le secteur de la boulangerie artisanale ou industrielle en France fabrique une grande diversité de produits de panification. Cela se reflète sur le terrain par des attentes diverses vis-à-vis des qualités technologiques des blés.

« Pour répondre à des domaines d’application extrêmement larges, les meuniers ont surtout besoin d’une multitude de blés différents, complémentaires entre eux », insiste Adeline Streiff. Disposer d’une telle diversité est l’assurance de pouvoir segmenter les farines selon les usages ; et d’effectuer des assemblages pointus ayant un rendement optimal tout en limitant l’emploi d’additifs technologiques ou d’autres procédés coûteux de transformation des propriétés d’une farine.

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