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Tournage 2021, Laurent Bocquet ( gauche) et l'apprenti Dorian,
Norbert Tarayre, Bruno Cormerais.
Tournage 2021, Laurent Bocquet ( gauche) et l'apprenti Dorian, Norbert Tarayre, Bruno Cormerais. ©La Magie des Pains

La production : « Instaurer une ambiance détendue » (3/5)

Rencontre avec le producteur de l'émission, qui travaille sur La Meilleure boulangerie de France depuis le début. Il évoque ses souvenirs et donne des conseils à ceux qui souhaiteraient y participer.

Des jurés « exemplaires », de nouvelles contraintes liées à l'inflation et des profils d'artisans inédits : pour La Toque, Maximilien Valtat, producteur de l’émission depuis ses débuts, revient sur ce qui a changé en dix ans de tournages de La Meilleure boulangerie de France.

La Toque magazine : Pouvez-vous raconter la genèse de l’émission ?

Maximilien Valtat : À l’origine c’était un concept britannique, Britain’s Best Bakery, et la boîte de production Shine* a souhaité le reprendre pour la France. Je suis sur l’émission depuis le tout début et j’ai évolué au cours de ces dix années car j’ai un vrai attachement pour le secteur et ces métiers de commerce et d’échanges. Le concept a également été développé en Allemagne.

LTM : Quelle était l’ambition au début ? Quelle est-elle aujourd’hui ?

M.V. : Valoriser le patrimoine artisanal français et ses régions. Les produits de boulangerie touchent vraiment tout le monde, et le fait de présenter des coins de France en début d’émission donne envie. Nous avons célébré la dixième saison, ce qui est remarquable, car M6 reste leader sur la case horaire. On souhaite bien sûr continuer à mettre en avant le savoir-faire artisanal et à suivre toutes les évolutions que le secteur connaît depuis quelques années. D’ailleurs, parce que nous restons un programme télévisuel diffusé sur une semaine, nous proposons de la variété chaque jour (toutes tailles de boulangeries, ceux qui ne font que du pain, ceux qui ne font que du bio, etc.) : ça permet un meilleur storytelling.

LTM : Avez-vous souvenir d’une année plus compliquée que les autres ? Et pourquoi ?

M.V. : Les années covid et post-covid : c’était difficile de travailler pour tout le monde ; avec, désormais, la hausse des prix et l’amplification du problème de main-d’œuvre, car il est de plus en plus compliqué de trouver des personnes qui acceptent des horaires aussi difficiles. Nous avons vu les artisans s’adapter et travailler différemment pour attirer le personnel, quitte à changer leurs horaires et leurs méthodes de travail.

LTM : L’émission a évolué : quelles “recettes” marchent mieux que les autres ?

M.V. : Des artisans passionnés avant tout. Maintenant que notre jury est rodé aux attentes et à l’organisation de la production, les choses se déroulent de façon très naturelle.

LTM : Dans quelle mesure, l’émission est-elle scénarisée ?

M.V. : Justement, à part l’organisation du tournage, je ne bride pas Bruno [Cormerais, NDLR] ni Noëmie [Honiat, NDLR] : ce sont des professionnels qui connaissent très bien leur métier. Après, côté organisation, nous nous retrouvons le dimanche pour la semaine de tournage et nous débriefons au sujet des profils que le jury va rencontrer. Une journée type, c’est un cadreur qui reste présent toute la journée dans les boutiques alors que le jury passe la matinée dans la première, pour la visite, la dégustation et la présentation du produit fétiche ; et l’après-midi dans la seconde. On prévient juste les artisans de ne pas faire la dégustation du produit fétiche avant que celui-ci ne soit présenté. Il faut savoir qu’il sont quand même souvent stressés, non par l’équipe et par l’émission, mais par la visite d’un Meilleur ouvrier de France. Donc tout est fait pour que le jury fasse un peu de second degré, pour qu’il y ait une ambiance détendue, comme si les caméras n’étaient pas là.

LTM : Quand on produit ce type d’émission que montre-t-on ? Et que ne montre-t-on pas ?

M.V. : On montre l’artisan et la boutique sous son meilleur angle. Notre but n’est pas de pénaliser ou de dévaloriser un boulanger ou sa boutique : l’émission se veut bienveillante et valorisante.

Tournage 2022 à La Magie des Pains d'Avignon Laurent Bocquet et son apprentie, Manon répondent aux questions de la production. (© La Magie des Pains)

LTM : Avec les différentes crises qui impactent la profession, quelque chose a-t-il radicalement changé dans les entreprises ?

MV : Au début, nous présentions la boulangerie dans sa grandeur, avec une vaste gamme de produits (un peu de pain, de viennoiseries, de pâtisseries et de snacking). Au bout de dix ans, nous montrons effectivement de nouveaux profils d’artisans. Et nous voyons bien que les crises en cours, les tensions sur les prix en particulier, les ont aussi poussés à revoir leur façon de travailler, à produire des gammes moins énergivores, en optant pour un meilleur sourcing des matières premières si la gamme est réduite, et en se focalisant sur les produits qu’ils sont certains que la clientèle va acheter pour éviter les pertes.

LTM : Comment un artisan valorise-t-il son passage à l'émission ? Fournissez-vous des kits ?

M.V. : Non, nous ne fournissons rien, ce sont les artisans qui récupèrent le logo, et ils valorisent de même leur passage ou leur victoire dans leurs boutiques. C’est une émission où l’artisan ne gagne pas d’argent mais remporte un trophée et d’énormes retombées médiatiques. D’ailleurs, le premier gagnant avait dû ouvrir un corner spécialement dédié pour vendre sa baguette tradition, tellement la clientèle avait afflué à la suite de sa victoire.

LTM : Vous faites signer une clause de confidentialité aux artisans : que n’ont-ils pas droit de raconter ?

M.V. : On leur demande de ne pas dévoiler leur résultat de la semaine et d’éviter de parler à la presse avant que nous ne l’ayons fait, en particulier quand ils se sont qualifiés pour la finale.

LTM : Combien de temps l’émission les mobilise-t-elle ? Certains ferment-ils le temps des épreuves ?

M.V. : À part le casting, qui mobilise surtout du temps pour faire des photos et répondre aux interviews, cela prend en tout deux jours : le jour du tournage — en particulier quand le jury passe voir les artisans, on bloque la clientèle pour qu’il y ait vraiment un moment entre eux —, et le samedi, quand les jurés doivent revenir.

LTM : Quels sont les attendus au moment du casting ?

M.V. : Des artisans passionnés et qui sont dans l’échange, c’est-à-dire capable d’entendre la critique comme de partager leurs recettes. Pour l’équipe de production, travailler avec Bruno a été une véritable éducation à la bonne boulangerie. Il est exemplaire pour cela car il reste dans une position d’artisan qui continue sans cesse d’apprendre et qui prend plaisir à découvrir des choses qu’il ne connaît pas. Les critères reposent aussi sur la qualité des produits utilisés : les mixes sont proscrits, tout comme les chaînes de boulangeries ! Y compris en dehors de l’émission, pour ma part !

Lisez l'interview de Bruno Cormerais et Noëmie Honiat

LTM : Quels conseils donneriez-vous pour être sélectionnés pour (et pour remporter) la Meilleure boulangerie de France ?

M.V. : En général, pour la présentation du produit fétiche, si l’artisan nous propose quelque chose d’un peu trop sophistiqué, on préfère le prévenir qu’il serait préférable de choisir un produit plus simple, que les équipes seront capables de produire en quantité avec toujours la même qualité car, le lendemain de la diffusion, voire les semaines qui suivent, ils doivent se préparer à le produire en quantité, 200 ou 300 par jour. Le pire qui puisse arriver c’est qu’une boulangerie déçoive sa clientèle parce que les artisans n’ont pas pu gérer l’augmentation de la production face à l’affluence, avec un produit dont la qualité est en deçà de ce qu’ils sont capables de réaliser.

LTM : Comment fait le jury pour tout avaler lors de la finale ?

M.V. : La consigne que je donne c’est de ne manger qu’une seule bouchée. On s’organise avec les caméras pour qu’elle soit bien filmée. Après, ce sont des professionnels qui sont habitués aux produits boulangers. Si les recettes ne sont pas chaudes au moment de la dégustation, ils sont en mesure d’apprécier la qualité des produits qui les composent et si la technique est maîtrisée.

* Devenue, après la fusion avec Endemol en 2015, EndemolShine ; puis Endemol après le rachat d’EndemolShine par le Banijay Group, en 2020.

Lire le reste du dossier

1. Le casting : « Montrer le meilleur de l’artisanat boulanger »

2. Élodie christ et Jimmy Gless : « Sur un coup de tête, je constitue un dossier »

4. Laurent Bocquet : « L'émission apporte une forme de crédibilité »

5. Clément Avias : « Un levier pour grandir »

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